PERU la route Moche


Il faut toujours passer une frontière le plus tôt possible dans la journée ! On ne sait jamais ce qui nous attend.
Les Jess’s et nous, quittons l'Equateur très simplement en dix minutes chrono. Il est 9h. 
Laurent n'en revient pas.

Il y a un pont à traverser jusqu'au Pérou ce qui prend une minute.

Les motos sagement garées devant la guitoune des douaniers, on ne le sait pas encore, mais on va attendre trois heures en pleine chaleur car le système informatique est planté. 
Il est 10h on a encore le sourire !

Nous faisons connaissance de Troy et Nathan, les canadiens rencontrés ce matin à l'hôtel. Ils se sont connus sur la route, et se sont bien trouvé ces deux là. Ils sont sales comme des peignes, mais sympas comme tout. Troy, queue de cheval et sourire en coin, a un bel œil au beurre noir. Il s’est fait casser la figure en Colombie dans un bar. Il ne se souvient de rien à part qu’il n’avait plus ni papiers, ni ordinateur, ni argent, quand il a rouvert son œil valide…

Ils vivent à l'arrache tous les deux, pas de planning, pas de carte, et ce matin pas d'argent !
_« Ah mais les gars,  Il faut payer l'assurance ! ». Elle est obligatoire pour obtenir le certificat d’importation temporaire du véhicule. 
Nous avons juste assez pour nous, et même en raclant les fonds de poche, on ne peut pas leur avancer assez d’argent pour l'assurance des deux motos. Troy doit repasser la frontière en taxi et retourner en ville pour tenter de retirer quelques dollars au distributeur.
Un colombien beau, brun, bronzé, habillé comme un scout en jaune et bleu, arrive sur son scooter. Modèle italien vert fluo flambant neuf, sacoches cavalières orange, bidons d’essence rouge, sac jaune. J’ai besoin de mes lunettes de soleil pour le regarder !  Il apporte une petite note fraîche et acidulée à notre brochette de motos poussiéreuses et crottées.

11h55, le système informatique est toujours planté, les douaniers proposent finalement de remplir les documents à la main.
_« Ah ben quand même, on n’en peut plus » !
À 12h05 nous entrons enfin au Pérou.
C'est le 3ème  plus grands pays d'Amérique du Sud en superficie, après le Brésil et l'Argentine.
Sur les 30 millions d'habitants, environ dix vivent à Lima, la capitale. Impossible de résumer en deux phrases les mille facettes de ce pays, berceau de la riche culture Inca. La langue officielle est l'espagnol, et le quechua, qui n’est pas ici une marque de matériel de sport, est parlé par environ 14% de la population. 
Les trois cents premiers kilomètres nous désespèrent. 
On s'était habitué à la propreté de la Colombie et de l'Equateur, aux jolis villages, aux véhicules en bon état. Ici dans cette région Nord du Pérou, on se croirait au Guatemala...En pire ! 
Le paysage est désolé, les sacs plastiques déchirés retenus par les branches des arbustes desséchés, claquent dans le vent.

Ce n’est qu’une succession de villages poussiéreux vivant dans les détritus et odeurs pestilentielles, malgré les panneaux verts qui enjoignent les habitants de garder leur ville propre, en ne jetant pas leurs ordures dans la rue.

Seule la route principale des pueblos est bitumée. Les rues adjacentes sont de sable ou de terre, incrustées d'immondices. Les vents violents qui soufflent en bourrasques lèvent des nuages de sable, et quand il pleut, elles se transforment aussitôt en bourbiers.
Les usines de ciment, dont on se demande si elles ne sont pas à elles seules, responsables de toute cette poussière, font bosser les hommes et les femmes de ces villages perdus.

Et puis, pendant des centaines de kilomètres, le silence du désert en réponse à cette insulte. J'aime ce décor sans fin, où rien n'arrête le regard et la pensée.
Et soudain comme par enchantement, sur les rives fertiles d’une rivière qui serpente entre les dunes, poussent des champs de cannes à sucre, des vergers de minis citrons verts, de mangues, pastèques et autres fruits exotiques. Aussi incroyable que cela puisse paraitre, il y a des rizières cultivées en terrasses grâce à d’ingénieux systèmes d’irrigation. Les épis de maïs sèchent tranquillement sur des bâches posées sur l’asphalte chauffé par le soleil.

Ici les bougainvilliers poussent partout et lancent leurs tiges fleuries à l'assaut des tonnelles branlantes. Nous sommes maintenant habitués à traverser les villages et leur agitation bruyante. Il faut juste être vigilant face aux véhicules qui déboulent de partout en klaxonnant pour un oui, pour un non, aux tuk -tuk pétaradants qui roulent dans tous les sens en soulevant la poussière au milieu des marchés colorés. Des chèvres, des chiens, traversent sans crier gare, quand ce n’est pas un troupeau entier de bêtes à cornes  qui défile en plein milieu de la route comme des majorettes. Les paysans transportent leurs récoltes, juchés sur d’antiques chariots de bois tirés par un âne. Tandis que des camions bennes hors d’âge disparaissent complètement sous leur chargement de canne à sucre. Ça déborde de partout ! Heureusement que les routes sont larges et droites.

Les tiges de cannes à sucre serviront également à la fabrication de nattes, que les péruviens tressent pour construire des sortes de huttes, ou des murs brise-vent dans les dunes, voire même les murs de leurs maisons. Je me demande encore comme ça tient debout avec le vent ?!
Première journée exténuante. On a la bouche pleine de poussière, et des crampes dans le cou d'avoir eu à lutter contre les rafales de vent et de sable. On se trouve un hôtel sur le bord de la route. Nous avons tous les quatre besoin d’une douche, d’un lit et d'une séance de soudure pour  Jessica. Elle a cassé son sélecteur de vitesse en tombant à l’arrêt à la station service. Juste un trou au moment où elle pose le pied à terre et patatras. Pas de chance ! Car du haut de ses 1m55, elle résiste à tout ma championne. Les routes défoncées, les pistes, la boue, mais pas le petit trou !

Nous dînons dans le restaurant le plus proche, on est épuisé. Et c’est là, vers 20h, qu’on voit débarquer Troy et Nathan qui ont fini par trouver des dollars et une assurance. Ils sont aussi surpris que nous de nous revoir, car nos motos, garées dans l’arrière cour de l’hôtel n’étaient pas visible de la route. Le hasard.

Le matin nous partons tous ensemble direction Trujillo. Et toujours dans ce désert de sables et de roches qui n’en fini pas. Deux jours entiers à rouler au milieu de nulle part avec des vents latéraux qui jouent avec nos nerfs. Mais c’est d’une telle beauté que je ne m’en lasse pas.

Nous sommes arrêtés par la police pour un contrôle de routine. Je les soupçonne d’être curieux de voir de plus près nos motos. Mais bon, on se demande toujours s’ils ne vont pas nous trouver un truc pour nous réclamer quelques soles.

En arrivant dans les faubourgs de Trujillo, Un grand panneau annonce « Ruta Moche ». Ça m’amuse beaucoup, rapport aux kilomètres de détritus qui pourrissent dans la nature à chaque sortie de ville. Mais après recherche, il s’avère que Moche est une civilisation précolombienne contemporaine des Nazcas (les fameuses lignes du même nom que nous verrons bientôt) qui a vécu sur la côte nord péruvienne entre l'an 100 et 700 après JC. 
Á quelques kilomètres au nord de Trujillo, nous découvrons les ruines de Chan Chan. Elle était la capitale religieuse et administrative de la culture Chimu, qui a prit le relais de la culture Moche. Cette mégapole comptait environ 30 000 habitants.
Construite en adobe entre le 12ème  et 14ème siècle après JC, c'est aujourd'hui un site archéologique qui s'étend sur 20 km², on y trouve palais, pyramides tronquées, places, habitations, réservoir d'eau et un astucieux système d'irrigation qui a permis de vaincre le désert. Ses murs d'enceintes atteignaient douze mètres de hauteur.

Mais en plein midi, ils projettent peu d'ombre et nous sommes complètement rôtis. Nous décidons de revenir le lendemain matin, habillés plus légèrement.

Les deux canadiens nous quittent et tracent la route car ils veulent passer le jour de l'An à Ushuaia. « Eh les gars, ce sont des motos que vous avez, pas des hélicoptères, bonne route. Take care guys ! ». 
Dès l’ouverture du site, sous un soleil déjà haut dans le ciel, on se promène comme des petites fourmis dans un labyrinthe de murs décorés de motifs géométriques, d’animaux, poissons, ou pélicans en relief. Il subsiste uniquement les murs des édifices qui indiquent l’emplacement des habitations, des réserves de grains au milieu d’un dédale de rues sablonneuses.

La chaleur est écrasante. Un figurant, stoïque, sous son lourd costume en lamelles dorées et sa coiffe joue son rôle d’empereur Inca avec sérieux. Le temps d’une photo payante, Jess joue le jeu avec lui.

Hergé, a du passer des vacances ici, car nous avons retrouvé l’original de la statuette de Tintin « l’oreille cassée » dans l’une des niches du palais.

Une bête étrange s’approche de nous. Un chien Inca... Au début, j'ai cru qu'il avait une maladie de peau ! Mais non, c’est un vrai chien nu inca. Le caresser est assez désagréable. La peau est rugueuse, parsemée de petits poils piquants, on a envie de le passer au gant de crin, pour lui faire la peau douce.
Il est temps de quitter ce lieu magique qui à si bien résisté au passage des siècles, car un mini bus de touristes vient d'arriver. Le chauffeur s'installe pour une sieste inconfortable, une jambe passée par la fenêtre.

Nous nous rendons ensuite pour déjeuner, à Huanchaco. C’est une petite station balnéaire au bord du Pacifique, célèbre pour ces embarcations de joncs tressés, assemblées par des mains expertes selon une technique séculaire.

Les « caballitos de Tortora » que les pêcheurs chevauchent, d'où leur nom, depuis 3000 ans. Une fois sorties de l’eau, elles sèchent dressées sur la plage.
Á l’heure du déjeuner, nous dégustons un ceviche à se damner. C’est un plat typiquement péruvien, une marinade de poisson cru, « cuit » dans le jus de citron accompagné de patates douces et de choclo, de gros grains de maïs blanc.

Une fois installés tous les quatre dans un hôtel du centre, nous partons à la découverte de Trujillo ! On est curieux de voir à quoi ça ressemble, car depuis que nous sommes au Pérou, question architecture, on a vu que des maisons basses en briques de terre, et en canne à sucre tressée.
Magnifique cité...bruyante, mais magnifique ! La circulation est intense, à 90% ce sont des taxis, des tuk tuk et des bus, qui TOUS klaxonnent aux carrefours, ou pour attirer l'attention des piétons, clients potentiels, ou bien juste pour prévenir qu'ils doublent, tournent, ou s'arrêtent. Un véritable fléau sonore qui faut supporter nuit et jour. A tel point que des comités de quartiers se forment pour tenter de limiter la frénésie cacophonique. Je leur souhaite de réussir, c'est invivable. Le pire étant la nuit, ou même avec des boules Quiès enfoncées jusqu’aux tympans, il est difficile de fermer l’œil.
Comme toutes les villes coloniales, Trujillo a aussi été fondée en 1534 au moment de l'arrivée des conquistadors. 
Sa gigantesque Plaza de Armas plantée de cocotiers, au centre de laquelle est édifié le monument à la Liberté, est comme toutes les places principales de chaque ville d’Amérique du Sud, un lieu de prédilection pour se retrouver, discuter sur les bancs publiques, se distraire, écouter de la musique ou regarder les gens danser. Juste en face la basilique Menor qui date de 1616 a été plusieurs fois reconstruite après de multiples tremblements de terre. Actuellement couleur safran aux motifs rechampis blancs, elle peut, au gré des restaurations changer de couleur. Sur d’anciens guides elle est blanche ! J’adore cette place, c’est magnifique ! La maison mitoyenne de la basilique est bleue lavande aux fenêtres protégées de grilles ouvragées peintes en blanc, la suivante est saumon, et toujours ces rechampis blancs sur les entourages des hautes portes moulurées et des ouvertures. Adossée au mur, une femme assise en tailleur, son enfant endormi dans les bras attend l’obole.  En fin de journée, le soleil couchant allume un grand feu sur ces façades. Le ciel rose délavé devient pourpre puis bascule dans la nuit. 

Nous terminons la journée en déambulant dans la rue piétonne très commerçante, à l’écart des intempestifs coups de klaxons. Un père noël barbu et ventripotent fait les cents pas à l’entrée d’un grand magasin. Jess et Laurent, se pendent à ses basques comme des petits garçons pour une photo rigolote. 
Trujillo est comme un diamant trouvé par hasard. Nous sommes complètement subjugués par cette ville à l’architecture si riche et si bien conservée, surgit des sables. Pour cette dernière soirée, les Jess veulent goûter au cuy. Il est de tradition au Pérou de manger du cochon d’inde, d’ailleurs il n’est élevé que pour la consommation. Il peut peser jusqu’à quatre kilos donc beaucoup plus gros que ses cousins européens. C’est devenu un mets très onéreux sur les cartes des restaurants. Il est servi entier, couché sur un lit de pomme de terre et de maïs. Mais il paraitrait que parfois, ce n’est pas du cuy… 
_« Ah oui, et qu’est ce que ça peut être alors ?! ». 
Après une nuit de pluies diluviennes, les rues de la ville sont complètement noyées, car les systèmes d'évacuations sont à peu près inexistants. Et comme seules les rues du centre sont pavées, les autres ressemblent à des rivières boueuses. Nous prenons tout notre temps autour d’un copieux petit déjeuner, arroz, huevos, frijoles, y jugo de fruta  fresca (riz, œufs brouillés, haricots jus de fruits frais). Ce matin, Laurent a décidé  de rejoindre Lima en trois jours en traversant la Cordillère Noire par la piste du Canyon del Pato. Les Jess’s, eux, ont choisit une autre route.
_« Dis Jess, tu ne veux pas m’emmener, je sens que je ne vais pas aimer ! »

Je soupçonne mon homme de prendre les pires pistes juste pour faire triper nos copains en KTM, restés en France. 
Ça commence toujours bien, une belle route qui serpente, au milieu des cultures. Puis les montagnes au loin se rapprochent et la route se faufile dans un défilé rocheux, en longeant la rivière. Et subitement, plus de bitume. La piste est taillée dans la roche grise. De grosses pierres roulent sous les roues et sont projetés dans les rayons. La moto se tortille et moi je suis tellement crispée que j’en ai les dents qui grincent.

Laurent dégonfle les pneus pour une meilleure adhérence et c'est parti pour 90 kms de cailloux dans des paysages...C'est vrai, EXTRAORDINAIRES. Dommage qu’il ne fasse pas très beau. Le ciel est gris et si bas qu’il se confond avec les sommets.
On va longer la tumultueuse rivière Santa, qui draine, vers le Pacifique, la fonte des glaces de la Cordillère Blanche. Parfois nous roulons à quelques mètres des remous, parfois la route s’élève à flanc de falaise et elle n’est plus qu’un petit ruban mousseux au fond du précipice. L’érosion dévoile les couleurs de la roche qui varient selon les minerais qu’elle renferme. Aucune végétation n’a l’audace de s’agripper sur les pentes arides et les pierres dégringolent de la montagne.

Il faut traverser des ponts de bois rafistolés, parfois il manque quelques planches. Certaines ne sont plus clouées et se soulèvent lorsqu’on passe. En moto c’est déjà limite, je n’ose pas imaginer en bus ou en camion. Mais ce qui fait le plus peur, ce sont les tunnels. Il y en a plus de trente taillés dans la roche.  Parfois ils ne font que quelques mètres, mais pour la plupart, on s’engouffre dans un trou noir sans savoir ce qui arrive en face. Il n’y a la place que pour un véhicule. Bien sûr ils ne sont ni éclairés ni ventilés. Une épaisse de poussière en suspension danse dans la lumière du phare et il faut accélérer pour ne pas être déséquilibré par les ornières sableuses.

Heureusement, il n’y a que très peu de circulation. On ne croise qu’un cantonnier et sa fille gagnant leur vie en bouchant les plus gros trous de la piste. La jeune fille nous gratifie de son plus beau sourire lorsque je lui tends quelques soles. 

Sur le bord de la route, des baraquements en brique de terre que l’on pourrait croire abandonnés, sont des villages silencieux. Il y a des chiens errants qui se lancent à notre poursuite en aboyant férocement. J’arrive, en observant leur regard, à déterminer s’ils vont se jeter sur nous ou pas. Si leur corps s’aplatit, si leur regard se fixe sur les roues je sais qu’ils vont nous courser tous crocs dehors. Je les ai même bombardés de cailloux, un comble pour moi qui adore les chiens.

Une pluie fine commence à tomber au moment ou nous retrouvons le bitume. Nous avons vaincu la Cordillère Noire, et au-delà de la vallée nous apercevons les sommets de la Cordillera Blanca...La plus grande chaine tropicale glacière au monde
Mais on va se reposer un peu avant de l'explorer.
Nous arrivons à Caraz à la nuit tombante. Un rapide tour de ville pour comparer les prix des deux ou trois hôtels, nous ramène au premier. Il offre le meilleur rapport qualité prix pour les deux nuits qui viennent, Lit double, eau chaude, internet et garage pour la moto. Le patron nous sert un diner rapide et le temps de compter jusqu’à trois nous sommes déjà dans les bras de Morphée.


Des Andes au désert

Après une bonne nuit de sommeil à peine troublée par la pluie qui n’a pas cessé de tomber, Laurent est de nouveau d’attaque pour explorer les alentours. Il veut se rendre à la Laguna Paron, qui parait il est fabuleuse. Encore de la piste, de la boue et de la montagne. Je préfère rester tranquillement à l’hôtel, écrire le dernier article du site et me reposer le dos. Laurent part seul et revient finalement assez vite, car la piste est détrempée. En le voyant tout crotté, entrer dans l’hôtel, je me félicite d’avoir zappé la balade. Comme dit mon amoureux, « tu n’aurais pas aimé ! ». 
Le temps s’améliore, un coin de ciel bleu apparait nous en profitons pour nous rendre à Yungay.
Le Pérou est sujet aux tremblements de terre car situé sur une faille sismique. L'un des plus violents a eu lieu en mai 1970, dans la région. Il a été suivi d'une avalanche de boue entrainant de gigantesques rochers qui ont dévalé la montagne à plus de 300 km/h.
La ville de Yungay, située sur les pentes du massif Huascaran, a été entièrement détruite et ensevelie sous des tonnes de roches faisant 20 000 morts. Un silence assourdissant règne sur le site devenu aujourd’hui un sanctuaire où chaque rocher est une pierre tombale, on imagine toute l’horreur de cette nuit là.

Une très vieille femme en habit traditionnel assise près d’un gros cactus, marmonne des mots inintelligibles, avant de s'assoupir. 
Je me dis que peut être, elle a tout perdu ici il y a quarante ans, et que son esprit aussi s’en est allé.

Une nouvelle ville a été reconstruite un peu plus loin...Á l'abri du couloir de l’éboulement ?!
On s'y arrête le temps de déguster un ceviche. Depuis Trujillo, j’en rêvais de ce poisson blanc, cru, pimenté, mariné dans du jus de citron vert servi avec des patates douces et du choclo. 
Laurent n’a pas dit son dernier mot pour l’expédition vers les lagunes. Il se débrouille pour trouver un taxi qui accepte de nous emmener. Á 6 h et demi le lendemain matin, le gars passe nous chercher à l’hôtel dans sa vieille guimbarde sans amortisseurs. Il roule à tombeaux ouverts dans un boucan d’enfer jusqu’à Yungay. Puis très vite, le bitume disparait pour une piste qui monte en lacet. Visiblement le chauffeur n’est jamais venu par ici, car il demande sa route à plusieurs reprises. Derrière ma vitre poussiéreuse, je regarde les gens à l’œuvre dans les champs cultivés. D’autres marchent sur le chemin. Les femmes portent de hauts chapeaux de paille blancs, des jupes épaisses en lainages de couleurs vives, des gilets et des guêtres tricotées. Tous sont chaudement vêtus et bizarrement, la plupart sont pieds nus dans les chaussures. Je sens que la journée va être longue jusqu’aux deux lacs de glacier Llanganuco à 3850 m d’altitude. Nous sommes dans le parc national de Huascaran sur une piste de montagne défoncée, dans une voiture bringuebalante. Il y des moments où je regrette la moto. 
A l'agonie sur la banquette arrière qui sent le lait caillé, j'ai réussi à prendre quelques photos par la vitre entrouverte, qui menace, à chaque chaos de dégringoler dans la portière. Depuis le départ, je me sens mal, j’ai des nausées, je suis fiévreuse, et mes intestins se tortillent. Au bout d’une heure, le taxi s’arrête, le moteur chauffe.
On observe de curieux arbres, les quenuals, multi troncs orange qui desquament et leurs branches basses tortueuses. C’est une variété endémique qui ne pousse que dans les Andes jusqu’à 5000 m, là où aucun autre arbre ne s'enracine.
Nous atteignons le premier lac, d'un bleu turquoise laiteux, puis le second du même  bleu turquoise laiteux entouré de montagnes.

Mais Laurent veut les voir de plus haut, au grand désespoir du taxi qui n'avait qu'une envie, faire demi-tour. La piste devient franchement difficile. Lacets très serrés, étroits, il faut zigzaguer pour éviter les trous et les rochers. La carrosserie hurle, et Laurent veut continuer. Nous sommes maintenant dans les nuages. On ne distingue plus rien, ni le sommet ni les lagunes qui ne sont plus que deux petites flaques au loin. Moi j’en ai franchement marre, la tension monte. Je lui reproche de se comporter en égoïste. Ce pauvre gars est en train de bousiller sa voiture qui est son outil de travail, visiblement il n’en peut plus, et moi je suis de plus en plus malade. Ma respiration est haletante, j’ai des maux de tête et je claque des dents et les 4500 m d’altitude ne sont pas les seuls responsables de mon état..

Nous passons au dessus de la couche nuageuse, il se met à neiger. En levant les yeux, nous entrevoyons enfin les sommets blanchis du Huascaran qui culminent à 6768 m. En contrebas, la vue est saisissante. Lorsque les nuages s’effilochent, les lagunes superposées sont comme des pierres précieuses serties dans la roche, et cette piste sinueuse qui n’en fini pas de s’élever, une simple estafilade blanche à flanc de montagne.

Enfin c'est la redescente... Pendant les quarante six kilomètres du retour il me semble bien avoir détecté de nouveaux bruits inquiétants dans mes entrailles et celles de la voiture. Je suis sûre que ce pauvre gars ne réitérera jamais l’aventure ! 
De retour à l’hôtel vers quinze heures, prise de vertiges, je tiens à peine debout. Je me jette dans le lit avec du paracétamol et des litres d’eau. Mon estomac se retourne, mes intestins se révoltent, c’est la guerre ! Je délire à moitié, mon sommeil est peuplé de cauchemars, je suis en nage, et je claque des dents.
Je comprends qu’il y a une règle à respecter, NE JAMAIS MANGER DE CEVICHE Á PLUS DE 10 KMS DE LA MER ! Qu'on se le dise. Sinon on le paye cash !
J'ai découvert la définition littérale de « grippe intestinale » Pourtant, qu’est ce que je m’étais régalée !
Laurent qui a mangé la même chose que moi, ne comprend pas ce qui m’arrive, car lui va très bien !
Le lendemain matin, c’est une pauvre petite chose flageolante et blafarde qui émerge. Il faut pourtant reprendre la route. Je me trouve un soluté de réhydratation à la pharmacie et le sirote pendant le voyage. Deux jours de route.
Le Pérou est grand comme deux fois la France. La variété de ses paysages est infinie. 
Il est possible de passer de la zone désertique et sèche du nord ouest, aux pics enneigés de la Cordillère Blanche avec ses vingt deux sommets à plus de 6000 mètres d'altitude, en cent kilomètres. Et se retrouver sur la côte pacifique aussi rapidement.
_« Bon alors, je fais quoi ? Je la mets ou je la range ma polaire » ? 

La route qui va de Caraz dans la Cordillère Blanche à Barranca sur la côte, est fabuleuse. On en prend plein les yeux. La vie agricole en est à l’âge de pierre. Dans les champs, le labourage se fait encore à l’araire avec des bœufs et le transport en charrette.

On monte à plus de 4000 m, la température chute. Au loin, les cimes recouvertes de neiges ressemblent à de grosses meringues. La région n’est pas très peuplée.

La route est un véritable billard, où les courbes s'enchainent avec volupté, parfois dans le souffle glacé des nuages.

Et d'un lacet à l'autre, nous voilà dans une vallée fertile ou coule une rivière.

De spectaculaires bougainvilliers, font de grosses taches fuchsias sur les murs décrépis. Quand je pense que je n’ai jamais pu en gardé un en Touraine !

Derniers virages, une jolie baie sur l'océan Pacifique.

Barranca est une station balnéaire connue des péruviens. Tout est très calme à part le ballet incessant des tuk tuk et mototaxis. Certains sont caparaçonnés comme les chevaux de tournois médiévaux, en jaune, bleu roi ou bien rouge.

La saison estivale ne commence que dans quelques jours. Nous posons nos sacs à L' Hostal Casa Blanca face à la plage en négociant le prix et la possibilité d’utiliser la cuisine. La chambre sent un peu le moisi, mais il y a une fenêtre qui ouvre sur la mer. Promenade sur le sable, coucher de soleil brumeux, et dîner en terrasse face à l’océan, les jours passent et ne se ressemblent pas !
De nouveau nous sommes en plein désert battus par des vents de sable en longeant la côte jusqu'à Lima.

La capitale s'annonce avec ses faubourgs très pauvres, poussiéreux, et embouteillés. Les collines pelées sont mangées par les bidonvilles. De loin, c’est joli ! Des centaines de petits cubes roses, bleus, jaunes, imbriqués les uns dans les autres, comme une palette de peintre. De loin… J'ai lu avec horreur, qu'une campagne de stérilisation forcée avait été menée entre 1995 et 2000 sur les populations pauvres de la Sierra, la Selva et les habitants des bidonvilles de Lima, visant à en diminuer le nombre. Ce que nous constatons, c’est que plus la population indienne est importante dans le pays, plus le niveau de vie est bas.

Comme partout en Amérique du Sud, Dieu tient une place importante, et la ferveur des plus démunis les aide à supporter leur quotidien.

Grâce à Steven, directeur Amérique du Sud des Hôtel IBIS,  relation professionnelle de Laurent, nous avons la chance d'y être logés gracieusement au 9ème  étage, en plein cœur du quartier très chic de Miraflores.
Le vrai luxe dans ces hôtels, c'est de ne pas douter un instant de la propreté des draps, d'avoir l'eau chaude au robinet, et nul besoin de se rhabiller, partir à la recherche de l'hôtelier pour qu'il monte sur le toit afin d'enclencher le système de chauffe, de bénéficier du wifi à plus de deux mètres du modem, de pouvoir marcher pieds nus dans la chambre sans se salir, et de poser sa tête sur un oreiller tout doux. J'en ronronne de plaisir. 
Dès la moto garée dans le parking souterrain, et les valises poussiéreuses déposées dans la chambre, on enfile un jean et partons à la découverte de Miraflores. C’est le quartier très résidentiel de Lima ! Ici, ce sont les gens riches qui sont en prison ! On dirait un quartier de haute sécurité. Chaque maison est enfermée derrière de très hautes grilles électrifiées, hérissées de pointes et de caméras de surveillance qui enregistrent le moindre mouvement.  Je me demande comment le Père Noël fera pour atteindre sans s’électrocuter ou s’empaler, les chaussettes de laine rouge qui l’attendent, pendues aux fenêtres ?!
On se promène dans la  galerie marchande ultra moderne de Larcomar qui débouche sur un belvédère surplombant l’océan Pacifique. Tout près, il y a le Parc de l'Amour. Une horrible statue d’un couple enlacé en terre cuite rouge domine un joli jardin et de très beaux bancs ondulés recouverts de mosaïques me rappellent ceux du parc Güell à Barcelone. Sur les branches des palmiers, les moineaux s’habillent en rouge et noir et les tourterelles se maquillent les yeux en bleu.

Toujours dans le quartier de Miraflores, nous observons à travers les grilles qui la protègent, les vestiges de la pyramide Huaca Pucllana, construite en briques d'adobe, placées verticalement pour mieux résister aux tremblements de terre. Elle date de la culture Lima (entre 200 et 700 après JC). Aujourd'hui, c'est un vaste chantier archéologique.
Je ne résiste pas à l’appel des marchés artisanaux, à la recherche d’une babiole. On prend le frais dans un autre parc fleuris, habité par les centaines de chats, qui posent comme des statues au milieu des massifs de fleurs.
Laurent part aux aurores ce matin. Il a pris rendez-vous chez BMW afin de changer les deux pneus. Malheureusement, la concession n’a pas les Metzeler mixtes, route/tout terrain, que Laurent affectionne pour les pistes. Il doit se contenter d’une autre marque moins performante. Nous sommes une victime collatérale du Paris Dakar ! J’en profite pour faire la lessive et avancer le futur article à mettre en ligne.

Nous consacrons le reste de la journée au centre historique classé UNESCO en 1991.
Lima est une concentration des styles architecturaux qui ont marqué l’Amérique Latine. Bâtiments néo-classiques d’inspiration française, comme le Théâtre Municipal, côtoient quelques bâtiments Art nouveaux et la cathédrale, véritable splendeur baroque coloniale.
Une foule immense, sous le chaud soleil de midi, se presse devant le Palais du Gouvernement pour assister à la relève de la garde. Il donne sur la très belle Plaza de Armas, à l'endroit même où Francisco Pizarro fonda la ville en 1535. En cette fin du mois de décembre, et sous 33°, trône au milieu des palmiers, une pièce montée décorée en sapin de Noël. De jolies policières déguisées en « mères noël »  cuissardes et bonnets rouge font le tour de la place sur leur moto blanche.
Au hasard des ruelles piétonnes on se retrouve derrière le palais présidentiel. Juste sous ses fenêtres coule le rio Rimac. En traversant le pont qui l’enjambe, on a le cœur au bord des lèvres. La couleur maronnasse de l’eau, l’odeur pestilentielle qui s’en dégage, ne laisse planer aucun doute sur l’origine de ce que les canalisations déversent dans le fleuve.

On se réfugie à l’abri du monde, derrière les hauts murs du Couvent Santo Domingo, datant du 17ème  siècle, remarquable pour ses très beaux azulejos qui décorent les voutes du cloître. En grimpant dans le clocher de son église, on a Lima à nos pieds.

C’est très impatients que pour la énième fois, nous chargeons la moto, pressés de retrouver les grands espaces.
Le Père Noël nous attend à Cuzco.

Et du désert aux Andes

Nous sortons de Lima un dimanche, et c'est plutôt une bonne idée, car la circulation est fluide. Les voitures individuelles sont rares, ce sont les taxis qui mènent la danse...Et le taxi péruvien au volant, est un psychopathe ! La main sur le klaxon en permanence il double à droite, à gauche, sans clignotant, se rabat sur nous, nous coince contre les trottoirs, coupe la route, freine brutalement, tout ça pour ne rater aucun client potentiel. Cette conduite hystérique atteint son paroxysme les jours de marché.
Conduire à Lima est une expérience routière stressante, il faut être sur le qui-vive à chaque seconde. Et pourtant, nous sommes aguerris depuis presque quatre mois en Amérique Latine et surtout depuis la traversée de la Colombie.
Dès la sortie de la ville, le désert de dunes nous absorbe. Parfois la route a tranché tout droit dans les collines de sable blond, au loin nous apercevons les villes côtières qui vivent dans une brume de poussière mêlée d'embruns.

Il y a de nombreux élevages de poulets en batterie reconnaissables à l’odeur qui flotte au gré des vents et aux longues huttes faites de nattes en canes à sucre au milieu de nulle part. Guettos de poulets martyrs !

Nous arrivons dans la Réserve Nationale de Paracas située dans une péninsule désertique, à trois cents kilomètres au sud de Lima.
On laisse les valises à l'hôtel et nous passons l'après midi à sillonner les pistes de terre ocre.
Laurent fait son « Dakar » ! C’est beau un motard heureux ! Je le laisse s’ébrouer seul, sans sacoches, sans son excédant de bagages bruyant, peu sensible au charme des dérapages. Il faut se méfier tout de même, car nous avons vu une voiture enfoncée jusqu’aux phares, après avoir quitté la piste. Le conducteur a dû vouloir gagner du temps en traçant au plus court. Pas de chance, il est tombé sur une zone de sables mouvants.

Moi je préfère flâner cheveux au vent sur une plage de sable rouge, à contempler une mer émeraude que surplombent des falaises dorées changeant de couleur au fur et à mesure que le jour décline.

L'une des curiosités de la réserve était un «  rocher cathédrale » à quelques brasses du rivage. Était... car l'arche de pierre le reliant à la falaise s'est effondré lors du dernier tremblement de terre en 2007 qui ravagea la ville de Pisco toute proche.

Le soleil se couche sur le désert. Les dunes nacrées de roses, se découpent sur un ciel qui pâlit. Le paysage minéral est nimbé d’une lumière qu’aucun mot ne peut traduire. Nous profitons du silence. Il y la Terre et nous.

Il est temps de rentrer à l'hôtel, garer la moto au chaud dans le hall avec la bénédiction du propriétaire et goûter la spécialité locale, le Pisco Sour, reconnu patrimoine culturel au Pérou. C’est un délicieux cocktail traditionnel, préparé avec trois doses de Pisco, une eau de vie de raisin, une dose de jus de citron vert, une dose de sirop de sucre de canne, six cubes de glace. Ce mélange doit être agité dans un shaker jusqu'à l'obtention d'un mélange homogène, puis il faut y incorporer un blanc d'œuf monté en neige, une ou deux gouttes d'Angostura amer déposées sur la mousse blanche pour la déco…et après deux verres, tout le monde passe une très bonne soirée ! C’est quand même autre chose que l’ « Inca Kola » autre spécialité péruvienne, un soda jaune poussin, au goût artificiel de bonbon acidulé. Très spécial !

Á 8h du matin, nous sommes sur le port. Les chalutiers et leurs filets sont à l’ancre, harcelés par des escadrons de mouettes. Nous partons pour une demi-heure de bateau jusqu'aux îles de Ballestas, la réserve ornithologique, située au large de Pisco.

Ce sont un peu les Galápagos péruviens. Soixante espèces d'oiseaux vivent sur des îlots rocheux, pélicans, cormorans, sternes, et manchots de Humboldt.

Durant des années l'extraction du guano, excréments d'oiseaux, a  constitué un important revenu pour le Pérou qui le transformait en engrais et l'exportait vers l'Europe et l'Amérique du Nord. Aujourd'hui, son exploitation est réglementée dans cette zone, seules 1000 tonnes par an sont prélevées tous les sept ans, pourquoi, je n’en sais rien, le guide parlait trop vite.
Un épais brouillard est tombé, et l'ambiance est fantomatique, les cris des oiseaux se perdent dans la brume, les otaries se chamaillent, ce qui ne trouble en rien le sommeil des lions de mer, allongés mollement, leurs corps luisants épousant parfaitement les reliefs du rocher.

Le brouillard s’épaissit, la balade est terminée. En approchant des côtes, on découvre un géoglyphe. Énigmatique figure représentant un candélabre, de 180m de hauteur sur 70m  de large et d’un sillon profond de 50cm. Il est dessiné sur un versant de terre sablonneuse abrupte, visible uniquement de la mer.
Malgré plusieurs explications scientifiques contradictoires sur son origine, et son utilité, Il n'a pas été possible de le dater. Le tracé est parfaitement conservé car il ne tombe que deux millimètres d'eau par an sur cette région, où la température annuelle moyenne est de 18°.

A soixante dix kilomètres de là, on s'arrête dans une véritable oasis, la lagune de Huacachina dans la banlieue d’Ica. Découverte en 1940 elle fût un lieu très prisé par la bonne société péruvienne. Elle est entourée de dunes de sable de 300 à 400 m, parmi les plus hautes du monde !

Je fais une petite sieste, écrasée de chaleur, pendant que Laurent attend... Attend... Attend près de la piscine à l'eau saumâtre, que sa belle rouvre les yeux.

Ceux qui viennent ici, cherchent les sensations fortes. Le plus fou, ce sont les buggys qui surfent sur les dunes. On apprécie les prouesses des conducteurs aux hurlements des neuf passagers à chaque descente vertigineuse.

Certains dévalent les pentes en sandboard, le surf des sables. Mais ça se mérite. Il faut d'abord escalader la dune. Je fais trois pas, je redescends de deux…Ça peut prendre un certain temps !

Laurent, comme d'habitude est bien loin devant. On se croirait perdu en plein Sahara. Je fini l’ascension à quatre pattes, tellement la pente est raide jusqu’au sommet. Mais une fois la dune conquise, quel spectacle ! Dunes violettes, montagnes en dégradé de rose, ciel voilé de gris. Fabuleuse lumière crépusculaire. A plat ventre sur le sable tiède et pourtant presque à la verticale, tant la pente est forte, j’observe la crête de la dune. Elle est fine comme une lame. Il se produit en permanence d’imperceptibles avalanches de grains, et l’arête se reforme inlassablement. Brutalement je prends conscience de l’infinie multitude des petits grains qui constituent ce désert.
Au loin on voit les buggys apparaitre et disparaitre dans les cratères, comme des petites fourmis perdues dans un labyrinthe. 
Il fait presque nuit lorsque nous redescendons. 

En route pour Nazca. Les lignes, géoglyphes, n'ont été découvertes qu'en 1926. Elles sont l'œuvre de la civilisation Nazca de culture pré-inca, réalisées entre 400 et 650 après JC. Elles sont parfois longues de plusieurs kilomètres, traversent des ravins, escaladent des collines, sans que leur tracé en soit perturbé.
Il a été répertorié trois cent cinquante dessins dont les plus connus sont le singe, le colibri, le condor et l'araignée... Divinités animales des Nazcas ? Personne n’en connait réellement la signification. Calendrier astronomique? Site rituel ? Qui sait ? Diverses théories plus ou moins fantaisistes se succèdent et se contredisent.  

Une chose est sûre, leur conservation s'explique par le microclimat de ce plateau, l'une des zones les plus sèches au monde. Absence totale de végétation, ni sable, ni poussière, ni vent pour les éroder.
Le fun, c'est prendre un petit avion qui survole les lignes. Le hic c'est le prix, qui a triplé en cinq ans car beaucoup de petites compagnies ont fermé...Trop d'accidents, trop de morts ! $120 par personne. Oups ! 
On se contente d'un mini mirador, 120 marches pour cinq soles...Bon c'est sûr, on voit moins bien ! La tourelle métallique est installée juste au bord de la route panaméricaine, et d’en haut, on ne peut apercevoir que « l'arbre ».  

Nous trouvons facilement un hôtel bon marché un peu à l’écart du centre ville de Nazca, le propriétaire est très sympa et nous fait visiter son établissement qu’il est en train de rénover et d’agrandir. Il nous indique un cimetière pré-inca, datant de 500 à 900 après JC, la nécropole de Chauchilla, à trente kilomètres de Nazca. 
Allez, un peu de piste, ça nous manquait. Laurent s’arrête pour dégonfler les pneus, ça passe mieux dans le sable mou. Le plus compliqué ensuite, c’est de trouver un garage avec un embout de gonflage compatible avec les valves des pneus de la Béhème afin de refaire la pression pour rouler à nouveau sur le bitume.

Le site n’est pas du tout protégé. Une casemate avec un gars qui vend les tickets et c’est tout. Un petit chemin bordé de cailloux blanc, nous conduit aux tombes. Partout, des traces de fouilles anarchiques où de pillages, avec des ossements et des morceaux d'étoffes épars. Je ramasse une petite vertèbre, l’os est d’une telle légèreté qu’il s’effrite au contact de mes doigts, je tiens un os humain d’environ 1500 ans…On peut voir les momies dans leurs tombes qui sont des chambres funéraires enterrées. Elles sont très bien conservées. Il semble qu’elles soient en position  assise, jambes repliées sur la poitrine et dans leurs vêtements de toile. La plupart ont de très longues chevelures noires tressées. Les parties du corps, comme les pieds, les mains et parfois le visage qui dépassent des vêtements laissent voir la peau parcheminée. On peut imaginer aisément leurs traits 1500 ans plus tard.

Nous sommes un peu impressionnés et je dirais un poil mal à l’aise en ce qui me concerne, de troubler ainsi leur éternel repos.
J'évacue ces visions morbides de retour à l’hôtel en contemplant le ciel qui s'embrase, sur les toits terrasses de la ville.

Nous sommes dans les temps pour passer Noël à Cuzco, à quelques kilomètres du Machu Picchu.
Très vite les Andes se dressent devant nous. 
On passe du niveau de la mer, à presque 4000 m d’altitude en tout juste deux heures et de 26° à 12° ! On a un peu le souffle court, mais la moto grâce à l'injection, avale les bornes sans tousser.

Il faut juste la ravitailler en essence. C’est d’ailleurs un risque que nous avons pris de nous aventurer ici sans bidon de secours. Et puis soudain, un village de trois maisonnettes en briques de terre et toits de tôle, seule trace humaine sur ce plateau de steppe herbeuse battue par les vents. On peut y manger, acheter du fromage frais et cru, moulé à la main en forme de bobine. Et heureusement, faire le plein. La femme qui tient la boutique, mâchouille des feuilles de coca qu’elle coince dans sa joue. Dans un récipient en plastique, elle transvase, à l’aide d’une louche, deux galons de carburant qu’elle puise dans un bidon rangé sous le comptoir. On rempli le réservoir avec un vieil entonnoir en zinc et c'est reparti, toujours plus haut. Vertigineux.
Je n’ai pas assez de vocabulaire pour décrire les paysages que nous traversons. A chaque fois, je me dis « alors là c’est ce que tu as vu de plus beau jusqu’à présent » et la minute suivante me fait mentir. Ça nous coupe le souffle, dans tous les sens du terme. Forêts, cultures en terrasses, routes en lacets, nuages crémeux suspendus dans l’air si pur que l’on distingue chaque relief des sommets de la Cordillère. Lorsque nous traversons les villages, nous saisissons un instantané de la vie quotidienne des péruviens. Je suis fascinée par les visages burinés des femmes, leur regard lointain, énigmatique, qui peut s’éclairer très vite d’un sourire si j’agite ma main pour les saluer. Elles portent leur chapeau vissé sur la tête, un enfant douillettement installé sur leur dos dans un châle bigarré...Et concession faite à la modernité, un téléphone portable collé à l'oreille. Certaines ont un goût immodéré pour le mélange des couleurs, fuchsia, orange, vers anis.

Les gens passent une grande partie de leur temps à attendre un collectivo, leur seul moyen de transport, pour se rendre d’un village à l’autre vendre leurs récoltes sur les marchés. Sur le bord de la route, il est fréquent de voir une dizaine de croix plantées sur un monticule de cailloux, rappeler que la mort frappe très souvent. La sécurité routière, n’est pas un concept qui a cours au Pérou.
Nous traversons l’altiplano péruvien. Dans cette région d’élevage, les fermes et les enclos sont construits en pierre rondes, perdus dans ces prairies d'herbes rases où vivent différentes sortes de camélidés, vigognes, lamas et alpacas. Certains portent des rubans de couleurs différentes accrochés comme des pendants d’oreilles. C’est un code pour reconnaitre les bêtes de chaque troupeau. 
La température a encore chuté, il fait 4°. Laurent utilise ses poignées chauffantes et moi je m’assoie sur mes mains, technique éprouvée au Canada.
On y croise des cyclistes qui luttent contre un fort vent latéral, et nous pensons aussitôt à Delphine et Cédric, le couple belge rencontré au Nicaragua. Ils roulent actuellement en Colombie, d’après ce que l’on a lu sur leur site internet.

Trois gamins bracelets de grelots aux chevilles, jouent de la flûte en marchant sur la route. Je ne vois aucune maison, pas de village, juste des étendues de cailloux à perte de vue à 3500 m d’altitude  D’où viennent ils ? Je ne le saurais jamais.
Soudain, je m’écrase sur le dos de Laurent. Il vient de freiner brutalement. Je n’ai pas le temps de me demander pourquoi, qu’il a déjà fait demi-tour pour s’arrêter à côté d’une…Aaaaraignée ! Elle traverse tranquillement la route. « Mais t’es fou, c’est une mygale, ou une tarentule elle est énorme »!  Le fait est, qu’elle est de la taille de mon gant d’hiver de moto. Elle a huit longues pattes poilues annelées noires et grises  et deux plus petites à l’avant. Je ne sais pas ce qui me prend, mais je trouve un bâton et la fait grimper dessus. Je n’y comprends rien, moi qui suis incapable d’en croiser une chez moi sans hurler, je m’amuse des acrobaties de celle-ci au bout ma baguette. Mais je fini par la lâcher précipitamment, quand elle entreprend de remonter vers ma main, et je me casse à moitié la figure en reculant précipitamment. J’en frissonne encore !
Nous arrivons très tard à Abancay, dernière ville étape avant Cuzco.
Le lendemain matin, nous quittons la ville dans un épais brouillard, qui ne se lève pas. On suit pendant plusieurs kilomètres une moto. Lorsque nous nous arrêtons ensemble faire le plein, il s’avère que le motard, est une motarde. Mary, la cinquantaine, est américaine, vit à Seattle et voyage seule sur sa BMW 650 GS. Elle reprend sa descente vers le sud, après dix mois d'arrêt. Un rocher colombien, en dévalant la montagne, lui avait brisé la jambe. Nous repartons avant elle et quelques kilomètres plus loin, on s’arrête près d’un couple de danois, Andres et Hellen. Ils partagent leur vie entre le Costa Rica et le Danemark et voyagent en KTM. Et là ils sont juste en train de savourer un café face aux magnifiques paysages andins. Voilà des gens qui savent vivre ! Incroyable, quelques instants après, ce sont deux australiens, Wayde et Philip qui déboulent. Tout crottés, fans d’off road en BMW 1200 GS, ils doivent eux aussi retrouver les Jess’s à Cuzco. Mary vient compléter la brochette et se joint à notre conversation à 4500 m d’altitude. C’est ce qu’on appelle une rencontre au sommet !

C'est en convoi que nous reprenons la route pour Cuzco, Porte de la Vallée Sacrée des Incas.
Vite, le père noël nous attend.

La Sacrée Vallée de Cuzco

La pluie nous surprend en arrivant à Cuzco, « Le nombril du Monde » en quechua. La ville est perchée à 3300 m d’altitude. Il a beaucoup plu ces derniers jours, et il ne fait pas chaud.

Nous traversons les quartiers les plus pauvres qui s'accrochent aux collines entourant la ville. 
Une terre collante, d'un beau rouge brique, transforme les ruelles en un gigantesque bourbier sanglant. Des toiles plastiques bleues tendues un peu partout, offrent une maigre protection aux habitants qui ont vu glisser une partie de leurs habitations dans le vide. J'imagine avec angoisse la vie des gens, pataugeant dans une boue glacée, sans eau courante, sans chauffage, avec le risque de voir s'effondrer à tout moment un pan de mur ou le sol sous leurs pieds.

Plus nous descendons, plus les quartiers deviennent salubres. Les marchés de noël ont envahis les trottoirs, on trouve tout pour garnir la crèche, les jésus, les santons, de la mousses et des lichens. Les vendeurs s’abritent de la pluie sous de grandes bâches en plastique bleu, qu’il faut vider de temps en temps.

La rue et son agitation sont une source permanente d'étonnement. Les femmes chapeautées papotent. Elles portent toutes de longues nattes qui leurs tombent sur les reins. Leur chevelure est magnifique, brillante et ne blanchis presque pas même chez les vieilles femmes. Mais il est difficile de leur donner un âge. La vie au grand air est rude, et on doit vieillir plus vite ici qu’à Paris. Dans les rues embouteillées, j’ai le temps d’observer la vie des gens. La bouchère, ses poulets et ses quartiers de viandes attendent le chaland. Ses étals ne sont pas réfrigérés. Trois petits cochons, morts, font un dernier petit tour, sur le dos d’un homme qui se fraye un chemin entre les groupes de badauds, et puis s'en vont, rejoindre un étalage sur le marché…Pas très loin des fromages et des gélatinas.
La Plaza de Armas de Cuzco est encore très calme à cette heure de l’après midi. Nous y retrouverons Wayde et Philip dans la soirée. Les danois s’installent dans une hospedaje où doivent normalement se trouver les motos des Jess’s. Ils sont en ce moment en expédition au Machu Picchu et nous les attendons pour le réveillon de Noël. Pas de motos ! Pas grave, eux, savent où nous trouver, vu que nous serons au Novotel pendant cinq jours. Nous remercions encore une fois chaleureusement le groupe ACCOR qui nous offre cette halte douillette. Mais contrairement aux petits hostals, il ne sera pas possible de garer la Béhème en plein milieu du patio chauffé ! Nous déchargeons la moto dans l’étroite ruelle pavée. Deux femmes en costume traditionnel promènent leur jeune lama. Elles espèrent quelques pièces en échange d’une photo. Soudain je pousse un cri de joie, que dis je, un hurlement, en voyant arriver Fabrice et Philippe, nos savoyards en caravane. Ils nous avaient repérés à notre arrivée en ville. Incroyable, je suis super contente ! Depuis Cartagena début novembre, nous savions qu'ils seraient à Cuzco pour Noël, mais nous n'avions pas pu les joindre via internet.
Á la nuit tombée, sur la place principale illuminée, face à la cathédrale, nous sommes tous réunis dans le très cosmopolite Norton Rat’s Tavern. Les drapeaux du monde entier sont tendus au plafond, la bière coule à flot, et c’est rempli d’étrangers. Il faut préciser que Cuzco, depuis la découverte du site du Machu Picchu en 1911 est devenu l’un des centres les plus touristiques du Pérou. Les prix de l’hébergement, des transports et l’entrée sur les sites sont exorbitants. Ils ont subit une inflation indécente, ces dernières années. Indécente, car c’est en millions de dollars que se chiffrent les recettes, dont on ignore comment elles sont ensuite réparties. De toute évidence, la population de cette région n’en bénéficie pas beaucoup. Les inégalités sociales et le contraste entre les différentes ethnies locales et l’afflux massif de touristes nantis est particulièrement criant ici. L’exemple le plus frappant, c’est le lucratif business autour de « l’Inca Trail. Trois ou quatre jours de marche pour  rejoindre le Machu Picchu. Mais lucratif pour qui ? Ce qu’on ignore le plus souvent, c’est que l’expédition impose un cortège de paysans courbés sous le poids des bagages, bouteilles de gaz, tentes et cuisinières. On pourrait penser que c’est une chance pour eux de travailler, sauf que les salaires sont misérables et que les porteurs n’ont pas la nourriture, les chaussures et les vêtements très adaptés. Il ne leur est pas permis  de parler aux touristes et encore moins de partager leurs repas.  Les candidats au trek se doivent de passer par une agence de voyage car il est interdit d’emprunter seuls le Chemin de l’Inca.
Pour le moment, nous découvrons la ville et ses trésors. Il pleut, et malgré la gêne il y a le plaisir.
Couleurs, odeurs, clameurs, véritables tourbillon des sens sur les marchés, inévitable séance shopping dans les coopératives d’artisanat populaire, bonnets, et pulls en alpaca.

Je tombe en arrêt devant des bottes en peau turquoise, agrémentées de tissus ethniques. Craquantes ! Maudite moto, pourquoi, n'a t elle pas un coffre de deux cents litres ?

Nos pas nous mènent, Calle Hatun Rumiyoc, célèbre pour sa pierre taillée à douze angles. Nous admirons la précision de l'ajustement des pierres de plusieurs tonnes, qui s'emboîtent au millimètre près ! Il y a toujours un gamin qui vous la désigne, car elle est cachée dans le mur d’enceinte de l'ancien palais du souverain Inca Roca.

Nous visitons le Musée d'Art Populaire, et la tour, élevée à la gloire de Pachakuteq, souverain, grand conquérant et remarquable administrateur, à qui l'on doit la grandeur de l'Empire Inca, en 1438.

Les ruelles pavées de Cuzco, montent et descendent...Il est nécessaire de s'habituer, car à 3300 m d'altitude, le manque d'oxygène se fait sentir. Les brochures recommandent aux touristes fraîchement débarqués de modérer leurs efforts les deux premiers jours afin de s’adapter. Malgré tout, certains souffrent du mal de l'altitude, « le soroche ». En ce qui nous concerne, notre organisme, tout au long de la route, a eu le temps de s’habituer petit à petit au manque d’oxygène.

Les incas le combattent en consommant en quantité les feuilles de coca qu'ils mâchent à longueur de journée. Cela leur permet d'endurer des conditions de travail rendues difficiles par l'altitude, stimule leur système respiratoire et coupe la faim. Moi j'avais prévu mes granules homéopathiques de coca...Je ne suis pas fan du machouillage et du jus marron qui colorent les dents.

Le lendemain, la ville s'anime peu à peu. Des centaines de familles incas aux costumes bigarrés, issus de communautés différentes, arrivent de toute la région de Cuzco et se massent sur la Plaza de Armas. Ils descendent des montagnes pour passer Noël en ville, et s’installent pour plusieurs jours, à l’abri sous les arcades. Assis par terre, isolés du froid de la pierre par quelques nattes tressés et plusieurs épaisseurs de jupes en laine bouillie, les familles vont manger, et dormir là pendant leur séjour. Ils viennent vendre leur artisanat, et des décorations pour les crèches sur le marché de Noël. Je m’installe sur un joli balcon de bois sculpté, au 1er étage du Starbucks Café. Il donne sur la place fermée à la circulation. Je peux observer les gens à loisir et prendre des photos sans qu’ils me voient. Je me sens toujours mal à l’aise de voler leur image, « à l’insu de leur plein gré », mais encore plus gênée de les photographier sous leur nez, comme des bêtes curieuses. Si je parlais mieux espagnol, je pourrais leur expliquer combien je les trouve fascinants.
Il fait un soleil radieux, et de là haut je domine la cathédrale et son parvis. L'agitation est grandissante.

Un bébé joue au « cochon pendu » dans le dos de sa mère, qui continue sa conversation avec une autre femme, imperturbable ! Les enfants courent dans tous les sens, ils ont reçu des jouets pour noël, offerts par des associations caritatives.

Des familles patientent devant certains restaurants qui vont leur offrir un repas de fête.

Nos copains savoyards sont repartis, mais nos canadiens, les Jess's sont revenus de leur expédition au Machu Picchu. On les retrouve avec plaisir pour siroter un Pisco Sour et en « happy hour » c'est encore meilleur !

Nous sommes le 25 décembre. Nous réveillonnons avec Andres et Hellen, les danois, Dan un motard canadien en KTM et les Jess’s dans un restaurant typique. Un groupe folklorique de musique andine anime la soirée.

Nous essayons toutes les trois de tirer quelques sons mélodieux des flûtes de Pan, sans grand succès ! C’est vraiment un noël pas comme les autres !
Mais c’est une soirée un peu triste aussi, car nous savons que nous ne reverrons plus nos Jess’s. Ils vont zapper la Bolivie et tirer direct au Chili pour avoir le temps de descendre à Ushuaia avant leur retour au Canada en février. Du coup, nous serons toujours très loin derrière eux. Nous évoquons tous les moments passés ensemble et c’est avec beaucoup d’émotion, le lendemain matin, que nous les regardons s’éloigner dans les rues de Cuzco, et disparaitre.

Heureusement le soleil est revenu qui chasse notre vague à l’âme. Nous avons pris un pass à 130 soles par personne (environ 35 €) pour visiter les différents sites de la Vallée Sacrée.
A trente kilomètres de Cuzco, nous visitons les ruines du palais royal de Tupac Yupanqui à Chinchero, construit en 1480, et détruit par un incendie en 1540. Il ne subsiste que quelques murs de ces très grosses pierres taillées si reconnaissables, une très belle église au plafond de bois peint ainsi que les terrasses autrefois cultivées. Les maisons du village sont en briques de terre rouge séchée. On a remarqué que sur les faîtages, il y a deux petits bœufs en poterie peinte devant une croix métallique surmontée d’un coq, sur laquelle sont suspendues deux petites jarres de vin en terre cuite, une mini échelle et une lance. C’est joli comme tout. On en a demandé la signification, il semble que ce soit  pour assurer la félicité, la richesse, et protéger la maison. C’est tout le paradoxe en Amérique du Sud, la coexistence de la religion et des rites païens.
Des enfants coiffés du bonnet de laine péruvien, le chullo, et de ponchos à rayures en laine tissée, joue de la flûte assis sur un muret face aux sommets enneigés des Andes. Vite une photo !

Les femmes filent la laine, enveloppées dans de chaudes étoles, la teintent avec des pigments végétaux et la tissent, tout en bavardant joyeusement.

Sur la route des Salineras de Maras, les paysages sont splendides. On dirait des peintures. La piste bordée d’agaves, délimite une vaste plaine herbeuse, dans laquelle paissent les troupeaux de moutons gardés par des enfants. On devine la terre rouge dans les sillons. De chaque côté des montagnes sombres et au loin les pics blancs des plus hauts sommets. J'ai envie de m'asseoir et rêver.

On accède aux salines par une étroite piste qui descend en zigzag dans une vallée encaissée. Les salineras sont constituées de centaines de bassins en cascades alimentés par une source chargée en sel gemme. Une dizaine de tonnes de sel est récolté chaque année. Ce n'est pas le moment propice, car c'est actuellement la saison des pluies au Pérou, et le processus d’évaporation ne peut donc pas se faire. A cette période, l’eau des bassins est ocre. En période sèche, le sel affleure et ils sont blanc nacré.

Notre découverte des sites magnifiques de la Vallée Sacrée continue. Nous sommes les témoins furtifs de scènes de vie paysanne, rude mais paisible. Un père et ses fils dirigent les bœufs aux labours, une vieille femme voutée mène ses ânes à la baguette, une autre surveille ses cochons noirs et ses moutons.

Nous traversons des villages de terre rouge, où le temps passe lentement.

A quelques kilomètres des Salineras, le site de Moray, à 3500 m d'altitude est un ancien centre de recherche agricole inca. La position des terrasses de terres fertiles construites en cercles concentriques, créait différents types de climats permettant la culture de plus de deux cent cinquante espèces de plantes. Les terrasses sont maintenues par des murets de pierres dans lesquels sont taillés des marches qui permettent d’accéder à la terrasse supérieure.

Il faut amortir le pass ! La deuxième journée est consacrée à la découverte de Pisaq et des ruines d'une forteresse inca, perchée sur un promontoire rocheux. Pisaq est souvent qualifié de « petit Machu Picchu », en moins majestueux. Il a aussi le mérite d’être beaucoup moins fréquenté.

Deux heures et demie de balade sur un chemin escarpé à 3000 m.

Il faut aimer les vieilles pierres chargées d'histoire, les à-pics vertigineux, se faufiler entre les rochers éboulés, et prendre le temps d’admirer la nature environnante en reprenant son souffle.

Ils avaient une sacrée condition physique ces incas !
Nous croisons trois gamines qui mangent des petites fleurs violettes...Laurent toujours avide de nouvelles expériences, veut goûter...Les petites fleurs violettes.
_« Alors ? C’est bon ? Ah non, pas de blague, celles-ci ne se mangent pas ! Elles sont rouges et il y a plein de piquants autour ». Les cactus sont en fleurs.

Un dernier regard sur les terrasses bien alignées qui descendent jusque dans la vallée, avant de reprendre la moto.

De retour, sur le parking, je me laisse amadouer par une femme qui me vend un bracelet de laine tissée pour quelques soles. Il est trop joli ! Je lui aurais bien pris tout le lot. Je ne discute pas le prix, cela lui permet de manger.

Sur le chemin du retour, je fais stopper la moto, car il y a un lama sur le bord de la route. Petite gueule d'amour, mais sale caractère! Le lama est chatouilleux, il n'a pas aimé que je le photographie, et m'a coursée jusqu'à ce que je saute sur la moto...Dommage que Laurent n'ai pas pu filmer ça !

Pour clore ces deux jours de découvertes, nous nous arrêtons sur les hauteurs de Cuzco, à Saqsaywaman. C’était une forteresse qui gardait l'entrée de la ville. La taille des pierres est phénoménale, la plus lourde pèse près de 70 tonnes. Cuzco est à nos pieds c’est magnifique.

Demain matin, c’est le départ pour le Machu Picchu.


MACHU PICCHU parce qu’il le vaut bien !

Le Machu Picchu est devenu au fil des années, une véritable pompe à fric ! N'ayons pas peur des mots. 
Et malheureusement  cette manne ne profite pas tellement aux indigènes. Tout est bon pour vider les poches des touristes, otages du système. 
Bien sûr, il y a un moyen très simple d'échapper à tout ce cirque, c'est de le zapper !
Impossible, on ne peut pas quitter le Pérou sans le voir.
Il y a plusieurs solutions pour accéder au site. Et… Ce n’est pas simple !
La plupart des touristes n’ayant pas de moyen de transport, partent de Cuzco en train jusqu'à Agua Calientes, dorment là bas, prennent le bus, tôt le lendemain pour le Machu Picchu. Il est possible d’économiser le prix du bus en empruntant un escalier de pierres disjointes, gratis mais sportif. Environ deux heures d’escalade au lieu d’une demie heure de car. Tout compris, ça revient à environ 175€ par personne.
Il y a ceux qui veulent le faire à pied. Il existe le fameux trek qu’il faut réserver au moins cinq semaines à l’avance, « l’Inca Trail » Quatre jours et trois nuits avec porteurs, pour $195. Plus le billet d'entrée pour le Machu Picchu bien sûr, qui coûte 36€.
Il est également possible d'aller jusqu'à Santa Teresa par la route, puis quelques heures de trek pour monter jusqu'au site, il ne faut surtout pas oublier d'acheter son ticket avant de partir de Cuzco ou d’Agua Calientes, sinon on pleure car aucun billet n’est vendu sur place !
Nous, on a choisit une autre solution. 
Nous partons de Cuzco et arrivons à Ollantaytambo vers 11h. Le train pour Agua Calientes part à 15h. Nous trouvons facilement un petit hôtel à quelques centaines de mètres de la gare qui accepte de garder la moto jusqu’au lendemain soir. On se promène en ville. Le village est ancien et touristique. Sur un présentoir, au milieu des habituels bonnets tricotés, des masques de laine très étranges attirent le regard. Ils couvrent la tête et le visage, très colorés, avec des fentes pour les yeux, le nez, la bouche, soulignés de moustaches et de sourcils. J’avais vu un reportage qui expliquait que dans une région de la cordillère, le 25 décembre, après plusieurs jours de procession, de fêtes et d’alcoolisation générale, les hommes portaient ces masques de laine, se mettaient un oiseau mort sur la tête, avant d’aller casser la figure à leur patron s’ils en avaient envie et sans risquer d’être inquiétés par la suite, car ils parlaient avec des voix de faussets pour ne pas être reconnus. Drôle de coutumes ! Il parait que ça permet de régler certains conflits.

On goûte au maté de coca, une infusion de feuilles sensée nous éviter le mal de l’altitude.
Il y a deux heures de train pour se rendre à Agua Calientes, qui n’est desservît par aucune voie routière.

Lorsque nous arrivons à destination. Une horde de rabatteurs pour les hôtels nous saute dessus. «  40 soles, pour une chambre avec salle de bain privée et internet ? », OK, on vous suit jeune fille ! Il y a tellement de monde qu’on préfère assurer et ne pas perdre trop de temps à chercher moins cher.

La ville est construite le long d'une rivière tumultueuse, et la ligne de chemin de fer la traverse de part en part. Faut juste faire attention en changeant de trottoir !

Nous faisons nos emplettes sur le marché pour notre pique nique du lendemain. Laurent achète un appétissant fromage frais sur un étal. Pas de frigo, pas de glace, je croise les doigts pour qu'une vilaine salmonelle ne l'habite pas. Tout est normal ! Sur le plateau d’à côté, la viande rouge découpée en tranches n’est pas non plus réfrigérée et commence à noircir. Et là tout à coup je repense à mon poisson cru…Je crois que je vais me contenter des tomates.

Nous sommes tout excités à l’idée de la journée qui nous attend. On fête ça avec un Pisco Sour, avant de retourner sur le marché pour manger un morceau. Un peu méfiante quand même, je commande un menu végétarien.

Nous nous levons aux aurores pour être dès huit heures à l’ouverture sur le site. Une demi-heure de bus sur une route en lacet. Les premières marches, contrôle des billets et on débouche sur une terrasse herbeuse à côté des greniers à grains, qui fait face aux ruines en contrebas. C’est d’ici qu’on a une extraordinaire vue panoramique sur la citadelle.  Whaou !
Une brume épaisse l’entoure. On a beau l’avoir vu en photos et en reportage sous toutes les coutures, ça fait un choc !
Cette cité Inca, du 15ème siècle dont il ne reste que les murs en pierres qui se découpent sur un tapis vert, est construite sur une plateforme rocheuse, en forme de fer à cheval, située entre deux montagnes appelées, Huayna Picchu et Machu Picchu. En contrebas coule une rivière. Oublié pendant des siècles, le Machu Picchu a été redécouvert au début du 20ème siècle.
On espère que les nuages qui s’accrochent à la montagne vont bientôt se lever. Un petit attroupement s’est formé et assiste à une scène amusante. Trois copines assises en tailleur en pleine crise mystique, psalmodient et tentent de communier avec les éléments.
_« Ça marche pas les filles ! ».

Comme il n’est pas question de rester assis là en attendant ça se lève, nous partons en expédition. Une heure, aller/retour, d’un chemin escarpé taillé à flanc de montagne conduit au Pont de l'Inca. Il faut avoir le cœur bien accroché, car ce n’est pas très large, les pierres sont glissantes et il y un dénivelé d’environ 700 m au dessus du vide et de la rivière. Au départ du chemin, un gardien note le nom et l’heure de passage, pour vérifier que tout le monde est bien revenu. On ne peut plus approcher le pont, c’est trop dangereux. « Tu m’étonnes ! ». On l’aperçoit sur la paroi d’en face. Il fallait surement marcher dos à la roche tellement c’est étroit. Quelques planches jetées d’un bord à l’autre du chemin, à droite, le précipice, à gauche la falaise, en dessous, le vide. Il contrôlait l’accès ouest de la ville et il suffisait de retirer les planches pour en interdire l’accès !

On sillonne le site, de long en large, de haut en bas, des centaines de marches à monter et à redescendre. Une pluie fine et tenace vient tenir compagnie aux nuages.

A l’abri d’un rocher en surplomb, nous pique-niquons avec une vue imprenable sur les terrasses qui sculptent la montagne quasiment à la verticale. On observe les bus qui arrivent et repartent sur la route en lacet par laquelle nous sommes arrivés ce matin. A l’écart de la foule, on peut presque croire que nous sommes seuls. C'est l'heure de pointe. Tous à la queue leu leu dans les escaliers. Les emmarchements sont si hauts et la pente est si raide, que je suis souvent à la limite de l’escalade. Des fois j’ai le nez sur les chaussures de la personne qui me précède. Il y en a même une qui portait des bottes à talons hauts  et une autre en tongs ! Ah les filles !
On s’incruste parfois dans un groupe de touristes, pour profiter des explications de leur visite guidée.

Allez maintenant qu'on a pris des forces, on grimpe jusqu'à la Porte du Soleil, c'est par là qu'arrive l'Inca Trail. 
Une heure et demie de grimpette dans les nuages, et autant pour revenir. Malheureusement, nos efforts ne seront pas récompensés. Nous n'aurons pas la chance de pouvoir contempler le site sous cet angle.

L'heure tourne, il ne nous reste que peu d’espoir de voir enfin se lever le voile blanc avant la fermeture à 17h.
Il y a un élevage d’alpacas sur le site. Ils broutent entre les ruines et comme ils sont habitués à voir des gens ils ne sont pas farouches. Je leur court après, dans le labyrinthe de murs. « Oooh que tu es beau mon joli, bouge pas, je prends la photo, avec les ruines derrière, voilà c’est bien comme ça ! ».

J’en caresse un, sa laine est d’une douceur incroyable, mais il sent très mauvais !

Enfin après des heures de cache-cache, les nuages abandonnent la partie. Il est 16h45.
On en profite pour faire nos photos de touristes ! 
Le Machu Picchu. Carole et le Machu Picchu ! Laurent et le Machu Picchu, et pour finir, Carole et Laurent et le Machu Picchu !!!
Le train du retour est prévu à 21h. Nous arrivons exténués à 23h dans l’hôtel silencieux. On récupère toutes nos affaires entassées derrière l’armoire réfrigérée et on fonce se coucher.
Le lendemain il pleuviote, du coup on décide de rester un jour de plus dans le joli village d'Ollantaytambo. Laurent s’est battu avec ses intestins toute la nuit, il a besoin de se rétablir un peu. Moi et mon menu végétarien allons très bien, merci !
Et puis, il y a encore une colline à escalader pour découvrir les ruines du dernier site de la Vallée sacrée de Cuzco. On y a même déniché une pierre à treize angles taillés ! Ils sont forts ces Incas ! Mais la pluie rend la progression périlleuse dans les escaliers abrupts. On bat en retraite, c’est bon on en a vu assez des cailloux.
La moto est garée dans le petit jardin fleuri de l’hospedaje. La veille il avait fallu la faire passer à travers la salle de restaurant car le patio n’est pas accessible de la rue. Laurent en profite pour changer les plaquettes de freins.

C’est bien reposés, que nous reprenons la route, en direction de Puno sur le lac Titicaca. Nous avons rendez-vous avec Fabrice et Philippe pour le réveillon du Jour de l’An

Titicaca…nerveux pour le jour de l’An


Des montagnes, des lacs, des plaines herbeuses où paissent alpacas, vigognes, lamas, parfois gardés par des enfants, minuscules petites taches colorées, dans les paysages fabuleux et tranquilles de l'Altiplano péruvien, perchés à 4338 m d’altitude. Puis des traversées de villes embouteillées, où règne l'anarchie la plus totale, dans un concert de klaxons. Heureusement que Laurent a des nerfs d'acier  et des reflexes de sioux !

A trente cinq kilomètres avant Puno, on s'arrête voir les tours funéraires, appelées chulpas de Sillustani, un site archéologique Pré-Inca et les jolies maisonnettes de pierres aux toits chaumés d’Atuncalla, le village voisin.

Une petite mamie qui ne doit pas souvent voir passer un tel attelage, nous fait coucou de la main.

Puno, est considérée comme le berceau de la civilisation Inca.
A ses pied s’étend le célébrissime lac Titicaca, celui de nos livres de géo. Selon la légende, le premier Inca, Manco Capac, serait sorti des eaux du lac pour fonder l'empire Inca. C’est le plus haut lac navigable du monde à 3810m. Il s'étend sur 8 562 km² dont  un bon tiers appartient à la Bolivie.

On se trouve un hôtel en plein centre dans une rue très pentue, pas très loin de la plaza de Armas. Sebastian, le gérant accepte sans difficulté que Laurent gare la moto entre les canapés et la table basse de la réception ! 
Je ne connais pas un établissement français qui ferait ça pour un étranger. Vraiment super sympa.

Le lendemain matin, nous prenons un triporteur bâché, pour nous rendre à l’embarcadère d’où partent les bateaux pour les Iles Uros et Taquile. Je suis ravie de monter à bord d’un bidule pétaradant. C'est très marrant ! Dans les descentes, tout va bien, en montée, c'est un peu poussif !

Il faut acheter un circuit accompagné à une compagnie de bateaux. Tout est très calibré, encadré, minuté...tout ce qu'on déteste, mais il est impossible d’y échapper, car il n’est pas permis de se rendre seuls sur les îles.
C’est donc très tôt le matin, que nous arrivons sur les quais, pour embarquer avec un groupe de touristes. Il est 7h, les femmes qui vendent les souvenirs sont déjà opérationnelles, une pile de chapeaux sur la tête, des étoffes et des babioles en laine dans de grandes corbeilles tressées posées à leurs pieds.
Le monde est petit ! Sur la liste des vingt passagers du bateau, j'ai reconnu un nom à consonance arménienne.
_« Votre papa, ne s’appelle pas Philippe par hasard ? » C’est ainsi que je fais la connaissance de Mikael, le fils d'un très bon copain de mes vingt premières années de visite médicale. Lui et ses deux amis sont pour cinq mois en Amérique du Sud, sac à dos, plein d'entrain. Le plus dingue c'est qu'il a bossé dans la même boite que Laurent !

Les Iles Uros sont incroyables. Ce sont des îles flottantes.

La dernière représentante de la communauté des indiens Uros, a disparu en 1959. Aujourd'hui ce sont les indiens Aymaras qui occupent ces îles. Le chef de l'une des communautés, reconnaissable à son bonnet multicolore, nous explique comment elles sont fabriquées.
Des blocs de racines creuses de totora flottant, une sorte de roseau spécifique du lac, sont découpés puis assemblés entre eux à l'aide de cordages et recouverts de plusieurs couches croisées de tiges de totora, sur une épaisseur totale d'environ trois mètres. On marche sur un tapis végétal spongieux. Ca ne doit pas être terrible pour les rhumatismes !

La profondeur du lac est en moyenne de cent sept mètres avec un maximum de deux cent quatre vingt quatre mètres. Le totora pousse en quantité sur le lac, la matière première ne manque pas, et sert à la fabrication des maisons, ou plutôt des huttes, des matelas recouverts de chaudes couvertures de laine, et des bateaux  avec de jolies proues tressées. Il se consomme aussi, les indiens croquent juste la partie blanche et tendre...On a goûté, mais il faut être né là pour apprécier. Les femmes préparent le repas sur de petites tables de cuisson en terre cuite, avec des emplacements creusés pour maintenir les faitouts. Elles allument un feu en dessous et ça mijote au dessus. Aujourd’hui, elles vendent leurs travaux d'aiguilles, des bijoux et quelques babioles. Il est fortement recommandé d'acheter quelque chose, car ces familles ne vivent quasiment que du tourisme. Nous avons d'ailleurs payé un droit d'entrée sur les Iles en plus du prix du bateau.
Bon c’est un peu le folklore quand même ! Les femmes ont entonné des chants traditionnels, en retour, il a fallu nous aussi pousser la chansonnette. On a massacré « Petit papa Noël », avec le sourire !

Pas très authentique, mais on a prit ça comme un musée vivant.
Nous reprenons la navette après une petite heure passée sur les îles. Celle de Taquile, et ses mille cinq cent habitants est à trente cinq kilomètres il faut trois heures de bateau pour la rejoindre.

On accoste l'île, et commence une lente progression par un sentier escarpé jusqu'à son sommet où se situe le cœur de la ville. Les habitants profitent quotidiennement des navettes de tourisme pour se ravitailler à Puno. Je porte le sac de courses d'un homme déjà lourdement chargé, qui me remercie d’un sourire radieux.

L'île est très belle. Cultures en terrasses, sous un ciel bleu, sillonnée par des sentiers jalonnés de jolies arches en pierres.

Les hommes portent des bonnets dont la couleur indique s'ils sont mariés ou célibataires, et des bermudas ceinturés d’une écharpe de couleur.
Le costume des femmes est sobre et sombre. Seuls quelques pompons colorés égaient leurs châles noirs.

Nous sommes guidés jusqu'à la place centrale, invités à visiter le marché artisanal, invités à manger dans le restaurant dévolu à chaque bateau de tourisme, ce qui permet à tous les restaurants de l'île, de travailler équitablement.
Et à 14h30, hop hop hop, tout le monde remballe, retour au petit port, trois heures de mer pour rejoindre Puno avant les orages du soir. Ça c’est sans compter sur mon étourderie ! Tête en l'air comme je suis, je n'ai pas entendu le guide dire que le retour se ferait de l'autre côté de l'île.
Je me suis écartée de la place centrale quelques minutes pour prendre des photos et à mon retour, plus personne...Ni Laurent, ni guide, personne. J’attends dix minutes, et croyant que les gens sont déjà repartis au bateau, je me décide à redescendre au petit port d'arrivée, par le chemin escarpé. Grosse erreur ! 
J'attends, j'attends, toujours personne. Deux des trois bateaux à quai sont partis. Bizarre. Je fini par me rendre compte que celui qui reste n'est pas le mien. C'est celui d'un groupe d'italiens en voyage organisé. Le capitaine me dit que mon bateau est en fait, amarré à l'autre port, de l'autre côté de l'île, à une heure de marche...Et qu'il est trop tard pour que je m'y rende, car il sera sûrement déjà reparti... Oups ! En effet, tous les bateaux repartent très tôt pour éviter les violents orages de la fin d’après midi, qui peuvent être terribles sur le lac. Et à part quelques touristes qui ont réservé un lit chez l’habitant, aucun étranger ne peut rester sur l’île.
Devant mon désarroi, il accepte de me prendre à bord. Le guide italien, une fois sur le lac, contacte l'agence de mon groupe avec son téléphone portable, afin qu'elle prévienne mon bateau que je suis en route pour Puno. Je pense à Laurent qui doit s’inquiéter.
Le guide me dit qu'ils ont fait le nécessaire. Je suis rassurée que Laurent soit averti. Je papote tranquillement avec le groupe aux petits soins pour moi.
Nous arrivons à Puno sous des trombes d'eau. J’aperçois le bateau de Laurent qui accoste et le vois sauter sur le quai et partir en courant. Je crie, je hurle, il ne m’entend pas. Et moi, je dois traverser plusieurs ponts d’embarcations avant de rejoindre le ponton. Lorsque j’arrive, il a disparu. Il fait nuit. En plus je suis inquiète car je ne connais pas le nom de l’hôtel…Décidément je suis nulle ! Je cours sous la pluie après un moto-taxi qui me dépose sur la plaza de Armas et je fini à pied, en remontant la rue transformée en torrent. Quand j’ouvre la porte de la réception, toute dégoulinante, Fabrice et Philippe sont déjà là, Laurent aussi, fou de colère, et d'inquiétude. Je crois que pour la première fois il aurait pu m’en coller une. Bon on ne va pas se donner en spectacle. Surtout que je ne comprends pas pourquoi, il est si furieux, vu qu’il a été prévenu que j’étais dans un autre bateau. En fait pas du tout ! Son histoire à lui est différente. Quand il ne m’a pas vu sur la place après le déjeuner, il a pensé que j’étais partie à l’embarcadère. Mais Laurent, lui avait compris que nous repartions de l’autre côté de l’île, et a pris le bon chemin. Il a descendu les cinq cents marches qui mènent au petit port, pas de Carole. Il est remonté sur la place, pas de Carole. Et redescendu les cinq cents marches pour constater que sa navette était partie sans lui. Il a du batailler pour prendre la dernière. Mais du coup il n’a pas été prévenu que j’étais prise en charge ailleurs. Il a imaginé le pire pendant tout le trajet. Mais je crois que ce qui le stressait surtout, était d'annoncer à ma mère qu'il m'avait perdue, quelque part sur une île, au Pérou !
Maintenant on en est sûr, les voyages en groupe c'est beaucoup trop dangereux pour nous !
Fin de journée pas terrible... Et en plus c'est le 31 décembre. Cotillons, serpentins...Et soupe à la grimace ! 
Fabrice et Philippe, nos savoyards préférés, nous réconfortent, et nous partons dîner tous les quatre. Réveillon pluvieux, réveillon heureux ! Dans les rues, les gens font la fête, chantent et dansent en écoutant des orchestres jouant des airs de musique traditionnelle. La pluie qui tombe en alternance ne décourage personne et tout le monde patauge dans les flaques avec indifférence.
De retour à l’hôtel, Sebastian, le gérant, ouvre une bouteille de Pisco, sort les confettis et les pétards, et c'est dans la joie et la bonne humeur que nous enterrons l'année 2011.

Rien de tel pour oublier les grincements de dents.
Vive 2012 !

Le lendemain matin, les garçons qui ont dormi dans leur caravane garée à côté du poste de police viennent prendre le petit déjeuner avec nous.  Nous ne savons pas si nous nous reverrons, alors on se souhaite plein de belles choses et on se fait de gros bisous.
Pour nous, pas question de zapper Arequipa, et le Canyon Del Colca, même si cela nous oblige à faire une boucle et repasser par Puno. Car c’est la seule route possible pour rejoindre la Bolivie en longeant le Lac Titicaca.
On réserve une chambre chez Sebastian dans trois jours et prenons la direction d’Arequipa, 2335 m d'altitude, deuxième ville la plus peuplée du Pérou. On va respirer un peu mieux ! 
La route se perd dans la pampa, parcourue par les camélidés de tous poils.

Nous sommes toujours à des hauteurs vertigineuses. C’est assez difficile à imaginer, car il y au loin de très hauts sommets. Et vu que nous sommes déjà à 4413m, comme écrit sur les panneaux, cela signifie que ces montagnes alentours, doivent flirter avec les 6000m !

De paisibles flamants roses vivent dans une immense lagune, magnifique miroir dans lequel se reflètent le ciel et les nuages. Le bruit du moteur les effraie, ils s’envolent en déployant leurs ailes bordées de plumes noires.

En approchant d'Arequipa, le paysage change, les montagnes sont vierge de toute végétation. Il n’y a que dans la vallée où les champs cultivés, forment un damier vert. On aperçoit la route taillée en arabesque autour des collines blanches, mais par soucis d’économie, peut être, les bâtisseurs les ont tranchées pour pouvoir tracer tout droit.
Cette fois nous prenons une chambre d’un style très monacal dans un ravissant hôtel, murs de pierre de taille, haut plafond, poutres apparentes. La moto est à l’abri sous la verrière du patio, à notre porte. Je veux bien rester là une semaine, moi !

Nous partons à la découverte de la ville à pied.

La cathédrale est toute d’or vêtue et possède un monumental orgue de cuivre. Des dentelles de pierre habillent les tympans des églises et les frontons de très beaux hôtels particuliers rachetés par les banques. Comme dans toutes les grandes villes péruviennes, il y a des files d’attentes interminables devant les guichets qui s’étirent jusque dans la rue. On n’a toujours pas compris pourquoi.

Mais ce qui nous a conquis, c'est le Monastère Santa Catalina, le plus grand couvent du monde.

Sa construction a débuté au 16ème siècle et s'est poursuivie jusqu'au 20ème siècle, en raison des nombreux tremblements de terre qui ont secoué cette région. C'est une ville dans la ville. Les religieuses vivaient retirées dans le silence et sans aucun contact avec le monde.
Dès que nous avons passé le porche, nous sommes frappés par la sérénité des lieux. Les murs épais faits de pierres de lave blanche, l’isolent totalement de l'agitation de la ville. Aucun bruit extérieur ne filtre. Le silence et le recueillement qui ont habité ces murs pendant quatre cents ans résonnent encore.
Nous nous sommes perdus dans le dédale des ruelles, à l'ombre des murs peints en terre de Sienne, et bleu indigo. Nous avons respiré l'odeur de l'encens, erré sous les arcades, visité les cellules très simples des nonnes, profité de la fraîcheur des patios, et des jardins dans une atmosphère hors du temps. Lorsque la lourde porte du couvent s’est refermée, nous laissant sur le trottoir un peu hébétés, nous savions que nous avions effleuré un petit moment d’éternité.

Le lendemain matin, très tôt, le propriétaire de l’hôtel nous propose de monter sur le toit terrasse pour admirer l’un des trois volcans qui entourent la ville. El Misti, culmine à 5822 m.

Nous partons pour le Canon Del Colca, Nous devons reprendre la même route que pour venir. Á nouveau, nous traversons la pampa de Guanaguas, habitée par les flamants roses et les guanacos. L'eau, la terre et le ciel se marient en beauté.

Puis nous quittons la route principale vers Chivay, le point d’entrée du Canyon Del Colca. C'est le deuxième site le plus visité du Pérou après le Machu Picchu. La route s’élève et nous passons au Mirador des Andes à 4910 m. On est juste au dessus du sommet du Mont Blanc tout de même !  Il neige et un vent glacial balaie le plateau rocailleux. Les péruviens ont pour habitude de déposer une pierre au sommet d'un col passé. Et ici, il y a des petits monticules à perte de vue et beaucoup trop de nuages pour voir les trois volcans qui pointent leurs cratères à plus de 6000 m.
Un poste de contrôle barre l’accès au Canyon. Il faut s’acquitter d’un péage. Mais le prix du ticket d’entrée a été doublé très récemment. Nous ne le savions pas. Il est trop tard pour retourner à la ville précédente retirer de l’argent, et comme nous n’avons jamais beaucoup de liquide sur nous, on espère avoir assez pour payer la nuit d’hôtel et le repas à Cabanaconde la seule étape au bout du canyon. Au pire on a la tente. On tente le coup. Soixante dix kilomètres de piste glissante, pleine de trous remplis d’eau,  taillée au sommet d’un canyon profond de plus de trois mille mètres, mettent mes nerfs à rude épreuve. Il a surement été  plus facile et plus court de percer des tunnels dans le rocher que de suivre les contours de la falaise. Mais depuis le Canyon Del Pato, même pas peur des tunnels tout noirs et sablonneux !
On s'arrête à chaque virage pour s'en mettre plein les yeux. Les cultures en terrasses forment des escaliers géants qui descendent jusqu’à la rivière Colca qui coule en contrebas.
En réalité, plus que les paysages, ce sont les condors qui attirent les milliers de visiteurs. La Cruz Del Condor est le point stratégique pour espérer voir le vol majestueux des plus grands rapaces du monde. Mais les stars ne sont là que le matin, nous les verrons peut être demain…Ou pas !
Nous arrivons enfin à Cabanaconde, le dernier village de la piste sous un déluge glacial, ce qui nous force à trouver refuge dans le premier hostal venu. Une ambiance de fin de monde s’abat sur le village et ses rues pentues se transforment rapidement en torrents boueux. L’absence d’éclairage public et le confort rudimentaire de l’hôtel renforcent le sentiment d’isolement. L’électricité est coupée, on s’éclaire à la bougie. Nous prenons deux lits dans un dortoir pour réduire la note et garder suffisamment d’argent pour pouvoir dîner. Je ne suis pas très fan de la promiscuité, et je croise les doigts pour que personne ne vienne s’installer dans le lit d’à côté. Il fait froid, la chambre est une véritable glacière et je suis heureuse d’avoir pu racheter un duvet chaud en Colombie. Après le dîner aux chandelles, nous restons bien au chaud à discuter avec une famille de voyageurs français qui passent six mois en Amérique du sud. Je fais une toilette de chat avant d’aller me coucher, car les sanitaires sont très sommaires et compte tenu de la température, je n’ai aucune envie de prendre une douche d’eau froide. Quelqu’un a déposé un sac à dos sur l’un des deux lits disponibles, nous aurons donc un compagnon de chambrée. Je mets des bouchons d’oreilles et le masque sur les yeux, c’est ce que j’ai trouvé de plus efficace pour m’isoler et trouver le sommeil dans certains cas. Au matin, reposée et prête à affrontée la piste, j’aide Laurent à sortir la moto de la salle de restaurant dans laquelle il l’avait garée la veille juste avant le déluge. Il fait un soleil radieux. C’est vraiment dommage de ne pas avoir assez d’argent sur nous, car nous aurions pu rester une nuit de plus et faire la randonnée jusqu’au fond du canyon. Quoique j’imagine qu’avec les pluies diluviennes, ce ne doit pas être très praticable. Tant pis, on croise les doigts pour les condors.
De gros nuages s’amoncellent déjà.

Á la Cruz, les minis bus plein à craquer de touristes avec maxi zooms, sont sur le pied de guerre dès 8h le matin.

Le condor a ses habitudes, il ne vole que jusqu'à 10h mais aujourd'hui il se fait attendre... J'aperçois un truc noir dans le ciel blanc, je shoote, mais je ne peux pas jurer que ce soit le volatile tant espéré !

De nombreuses péruviennes viennent ici tous les jours vendre toutes sortes d’objets artisanaux, bracelets, chapeaux, bonnets, pulls, étoffes. Elles portent un costume traditionnel que je n’avais pas encore vu. Un chapeau blanc à larges bords relevé à l’arrière, entièrement et finement brodé de fils de couleurs, tout comme leur caraco. Quel travail ! Des enfants avec des bouilles à croquer, jouent en attendant que leur maman remballe son stand en début d’après midi. Il y a aussi quelques baba cools vendeurs de bijoux « faits main », un peu allumés, qui à mon avis planent plus souvent que les condors.
La moto fait sensation auprès de nombreux touristes, qui nous pressent de questions sur notre voyage. Ils regagnent leur minibus et leur parcours chronométré en enviant notre liberté. Sauf que moi, le minibus ça me le ferai bien aujourd’hui !
Car la piste est pire qu’hier. Je préfère descendre de la moto et laisser Laurent traverser les flaques devenues lacs et le laisser disparaitre sous les gerbes d’eau boueuse.

Nous retournons à Puno, Sebastian est content de nous revoir. Comme la moto est super crottée, j’insiste pour que Laurent la nettoie avant de la rentrer dans la réception. Finalement, Sebastian l’accompagne à la station de lavage, trop heureux de faire un tour sur la bête, cheveux au vent.
Enfin une vraie belle journée. On commence à saturer avec la pluie. Pour nos derniers kilomètres au Pérou, nous bénéficions d’un soleil éclatant. En longeant le lac Titicaca jusqu'à la frontière bolivienne, il y a encore quelques surprises, comme le temple de la fertilité de Chucuito et sa quarantaine de phallus en pierre ainsi que d’énormes têtes d’incas sculptés dans les rochers. Mais notre regard est happé sans cesse par le bleu carte postale du lac. Nous traversons ses plaines fertiles, où les champs de colza sont illuminés par le soleil et tranchent sur le vert des prairies. Dans les villages, les maisonnettes en torchis et de toits de tôles sont entourées de murets de pierre. Ce qui m’amuse, c’est qu’elles ont toutes des petites cabanes en bois turquoise au fond du jardin, pourquoi turquoise ? Mystère ! Ici le temps s’est  arrêté et la vie y parait bien paisible malgré la rudesse du climat et l’altitude. La culture du Totora, la pêche et l’élevage permettent au gens de survivre et d’être presque autonome.

Notre traversée du Pérou s’achève sur les bords du lac Titicaca. Un mois durant nous avons découvert un pays rude, et attachant. Fascinés par le courage des péruviens et touchés par leur gentillesse, nous avons adoré la diversité des paysages, et roulé sur les plus belles routes de notre voyage.
Maintenant, de nouvelles aventures nous attendent en Bolivie.