San Pedro, Anto, Valpo

Une joie intense m’envahie en voyant le poste frontière bolivien s’éloigner. Mais je sais aussi que quoique nous puissions vivre à partir de maintenant, rien ne pourra autant me prendre les tripes.
Si nous sommes sortis de Bolivie, nous ne sommes pas encore entrés officiellement au Chili. Le poste de douane se trouve à San Pedro de Atacama. C’est à quarante kilomètres au bout d’une descente en ligne droite. Un toboggan asphalté qui nous fait passer de 4500 m d'altitude à 2400... J’en ai les oreilles toutes bouchées. 
Laurent s’arrête, afin de satisfaire un besoin bien naturel. Aucun arbre à l’horizon, juste un petit panneau vert qui fera bien l’affaire. En levant le nez il lit qu’il ne faut SURTOUT pas s’éloigner de la route, car c’est un champ de mines. « Ooouuuh peligroso ! ».
On peut se demander si c’est en rapport avec les tensions qui existent depuis des années entre ces deux pays pour des raisons de revendications frontalières.

Plus on descend, plus la température monte, et c'est en ébullition que l'on gare la béhème à San Pedro. Il y a une agitation folle, des bus, des voitures garées n’importe où, Il y a même encore quelques véhicules d'assistance du Dakar qui patientent avec nous.

On regretterait presque nos trois jours de désert. La file d’attente s’allonge derrière une porte « stickérisée » par les routards du monde entier. Il faut attendre son tour pour atteindre le guichet d’immigration. Je patiente dehors à l’ombre. Mes yeux larmoyants cachés derrières les lunettes noires, ont bien du mal à supporter la poussière et la chaleur. Il faut que je me trouve un médecin.
En une heure, on a tous les tampons nécessaires. La fouille des bagages m’a un peu stressée, mais la femme s’est contentée de glisser sa main dans mon sac souple et ne s’est pas donné la peine de vérifier les sacoches alu ni le petit sac à dos dans lequel elle aurait pu découvrir un bébé flamant rose momifié.
En entrant au Chili, on sait qu’on en a fini avec les populations indiennes qui nous ont tant fascinés, Quechua, Aymara, Incas Aztèques. Le Chili d’aujourd’hui, tout comme l’Argentine, est la nation la plus européanisée de toute l’Amérique Latine. Les chiliens sont d’origine, européenne, essentiellement, espagnole, britannique, et allemande dans sa partie sud. Il est également le pays le plus développé et démocratique, mais surtout le moins corrompu du continent Sud-Américain.
Nous sommes des voyageurs et non des historiens géopolitiques. Tout ce qui nous surprend et nous interpelle sur la route, on le sait, n’est que la résultante d’évènements qui ont façonnés les pays que nous traversons. Nous n’avons pas l’intention de juger ou prendre partie, mais simplement toucher du doigt la réalité quotidienne des gens qui vivent d’une manière différente de la nôtre. Tout en sachant qu’il nous faudrait beaucoup plus de temps pour appréhender toute la complexité de leur quotidien, marqué par l’histoire souvent violente de leur pays.
La situation géographique du Chili est très particulière. Il s’étire sur 4300 kms face au Pacifique sur une largeur maximum de 440 kms et de  90 dans sa partie la plus étroite. La Cordillère des Andes est sa frontière naturelle avec l’Argentine et la Bolivie et le désert d’Atacama l’isole du Pérou. Les plaines littorales entre le Pacifique et la Cordillère de la Côte, à l’ouest de la Cordillères des Andes, ont permis l’installation des grandes cités maritimes.
Les populations ont du composer avec ces deux épines dorsales montagneuses qui culminent à plus de 6800 m.
Arriver à San Pedro, c'est entrer à « gringoland ! ». Le tourisme a explosé dans les années 90, dans cette oasis verdoyante au cœur du désert de l’Atacama. C’est le désert le plus aride du monde, à certains endroits, il n’est pas tombé d’eau depuis plus de quatre-vingts ans. Un monde fou se presse dans les adorables ruelles, où les habitants sont tous, restaurateurs, hôteliers, cafetiers, organisateurs de circuits touristiques en VTT, 4X4, sandboard, ou parfois les quatre en même temps. Nos amis canadiens, les Jess’s avaient préféré éviter la Bolivie, et partir d’ici, pour une découverte de trois jours en 4X4 dans  le Sud Lipez. Les hôtels sont très chers, et c’est sûr qu’en arrivant de Bolivie, on trouve tout hors de prix. Il faut juste qu’on ré-étalonne notre grille mentale de prix ! Manuel, un petit bonhomme tout rond et jovial sur le pas de son hôtel nous apostrophe, le prix est raisonnable, bon c’est un préfabriqué habillé de canisse, mais il y a le wifi, une grande cour fermée et un bar restaurant installé sous une paillotte. Je me jette sur internet, et fais une recherche sur mes symptômes. Je lis que je suis vraisemblablement atteinte d’une ophtalmie carabinée. Depuis plusieurs jours, je vis dans le brouillard. D’après les infos que j’ai trouvées, le meilleur traitement, hormis consulter un ophtalmo, c'est le noir complet pendant deux jours avec des compresses d'eau froide sur les yeux. 
J'ai juste le temps d'apercevoir les volcans boliviens par dessus les toits des maisons, la petite église blanche qui tranche sur le ciel bleu, avant de faire retraite dans ma tanière. J’occulte la fenêtre de la chambre, et je ne mets plus le nez dehors. Je fais parfois une pause télé entre deux séances très efficaces de compresses, en gardant mes lunettes noires !

Le patron de l'hôtel est aux petits soins pour moi, et me confie tous ses secrets de « grand-mère » pour soulager mes yeux douloureux. Il frappe à ma porte avec une bassine pleine d'eau minérale et de glaçons  et me dit de plonger la tête dedans avec les yeux grands ouverts. C’est...comment dire ? Très rafraîchissant ! Il revient une heure plus tard et me tend son flacon de gouttes personnel ! 
En tous cas, tant de sollicitude me va droit au cœur. Merci Manuel, t’es trop mimi.
Pendant ce temps là, Laurent, ne perd pas son temps et n'est pas « malheureux comme les pierres ». Il part à la découverte de la Vallée de la Luna, véritable désert de sable, de canyons et de rochers façonnés par les vents et l’érosion, traversé par des pistes de cailloux. Aucune végétation ni trace de vie. Ce que pourrait être la lune sur terre ! Laurent me fait partager ses nouvelles merveilles grâce aux photos.
Le régime, noir complet, fait merveille. Et même si certains pensent que je me la joue starlette, dorénavant mes lunettes noires ne quitteront plus le bout de mon nez de l’aube à la tombée de la nuit. Nous devons aussi nous habituer à la chaleur. Nous qui vivions en permanence avec une veste polaire sur le dos depuis des semaines, on a l’impression d’être dans un four. Je trouve que c’est une excellent raison pour investir dans l’achat d’un sarouel bien plus léger et agréable à porter que mon pantalon de brousse. Une bonne excuse pour faire du shopping ! Nous prolongeons d’une journée, notre séjour farniente à San Pedro, déçus de ne pas pouvoir visiter Calama, la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert exploitée depuis 1913. Il aurait fallu s’inscrire sur internet et malheureusement tout est complet jusqu’à fin janvier.

L'appel de la route et des grands espaces nous reprend.
Trois cents kilomètres désertiques. Nous passons à proximité de la fameuse mine de 8 km² sur 900 m de profondeur. Ce qui est fou, c’est qu’elle est entourée de 48 km² de déchets miniers devenus à leur tour des montagnes, car Il faut une tonne de roche pour extraire dix kilos de cuivre. La société Coldeco qui l'exploite, appartient à l'Etat. Ses réserves de cuivre qui représentent 13% des réserves mondiales sont, à quelques grammes près, de 7 000 millions de tonnes...Á 6,04 € le kilo, faut sortir la calculette !
On se contente d'observer d’un belvédère, le ballet incessant des monstrueux camions de sept mètres de hauteur aux gigantesques pneus. Il est aussi possible d’aller jusqu’aux barbelés qui condamnent l’accès à la ville de Chuquicamata où vivaient les employés de la mine. Elle a été vidée de ses 25 000 habitants en 2004, Tous ont été relogés à Calama à quinze kilomètres de là. Les raisons officielles, sont la pollution, de l’eau, de l’air, et des sols. On voit qu’une partie de la ville est déjà engloutie sous les milliers de tonnes de roches rejetées par les machines d’extraction. C’est assez surréaliste comme vision.

Et des mines il y en a partout dans le désert de l'Atacama, c'est même ce qui fait la richesse du Chili. Cuivre, or, argent, fer, et nitrates, les montagnes en sont toutes en retournées !
« Ben tu m'étonnes que le Chili soit passé à travers la crise, sans éternuer ! ».
Ça rend le paysage beaucoup moins monotone. Les reliefs sont teintés de jaune soufré, de vert de gris, de rouille, et de reflets métalliques. De vieux train de fret couverts de tags, parcourent ces étendues minérales. Tremblotants, ils apparaissent comme des mirages et semblent flotter dans l’air. «  Je me demande si je n’ai pas pris un coup de chaud, moi ? ».

Un grand panneau vert nous informe que nous venons de passer le Tropique du Capricorne qui traverse également, l’Afrique du Sud et L’Australie.

Antofagasta n’est qu’une étape sur notre route. L’effervescence de la ville est retombée après le départ du Dakar, la semaine dernière.
Elle n'a rien d'extraordinaire, coincée entre la montagne et la mer. 
Son port de pêche est très animé et coloré, comme tous les ports de pêche, sauf que tous n'ont pas des pélicans et des lions de mer qui se livrent à un véritable show aquatique, à chaque retour de chalutier et en fin de marché, lorsque les pécheurs jettent à l’eau leurs déchets de poissons. Ils se disputent les meilleurs morceaux et les plus rapides emportent la prise au vol, avant même qu’elle n’ait touché l’eau. Laurent sait se fondre dans le paysage, avec son bandana noué sur la tête et son tee-shirt noir à tête de mort, il joue les pirates… 
_« Oui mais là bébé, on n’est pas dans les Caraïbes ! ».
Assis sur les rochers face à la « Portada », arche minéral naturel et emblème du Chili, on rêve. Les cris stridents, des sternes, des cormorans et autres goélands se perdent dans le fracas des vagues turquoise du Pacifique, qui viennent s’échouer sur la plage bordée de falaises blanches. L’accès n’est plus autorisé, suite à plusieurs glissements de terrain.

C'est l'été dans l'hémisphère sud, les grandes vacances, plages dorées, coquillages et crustacées...Et des parasols multicolores par centaines. Il y a même des familles entières qui s'installent pour plusieurs semaines, avec tentes, barbecue et pick-up. On les voit de la route qui longe la mer. Quelque chose de totalement interdit chez nous. Pour en avoir le cœur net, on se gare près d’une jolie plage, très habitée. L’ambiance est un peu bizarre, les gens nous regardent avec insistance. Il y a des carcasses de voitures aménagées, encore des bâches bleues tendues pour délimiter des emplacements, des chiens enchainés qui aboient furieusement, et une femme qui nous suggère de faire demi-tour…Donc apriori, ces gens ne sont pas là que pour les vacances ! 

La découverte du centre ville est sans surprise. Bâtiments géorgiens, quelques jolies mosaïques, des peintures murales en trompe-l’œil, et de belles fontaines qui rafraichissent l’atmosphère des jardins. Il est bon de s’assoir à l’ombre des palmiers et des bougainvilliers en fleurs. Mais avec Laurent, difficile de tenir longtemps sans bouger assis sur un banc.
Une bande de joyeux lurons, encore sous les effets d’un, Saturday Night Fever, bien arrosé, nous entraine dans une ronde lorsqu’ils comprennent que nous sommes français. L’un d’entre eux arbore fièrement un maillot de l'équipe de France de foot...
_ « Oh toi mon garçon t’as pas du regarder la dernière coupe du monde ! ».

Toujours grâce à Steven, nous bénéficions de gratuité dans les hôtels Ibis de toutes les grandes villes d’Amérique du Sud que nous visiterons. Je profite de la salle de bain, des savonnettes qui sentent bon et de la chaleur, pour faire une petite lessive. J’improvise des cordes à linges avec des tendeurs et les lanières des sacs, et je décore la chambre de guirlandes de chaussettes et de sous vêtements, en espérant que tout soit sec avant le passage de la femme de chambre.

Tandis que Laurent profite du wifi pour mettre à jour le site et le dernier article édulcoré, que je viens de terminer, sur cette chère Bolivie. Un motard anglais se joint à nous pour la dernière soirée. Il se dirige vers la Bolivie et ne sait pas trop à quoi s’attendre. Laurent lui donne sa carte routière du Sud Lipez, ou il avait noté toutes les infos sur les possibilités d’hébergement de ravitaillement. Solidarité motarde oblige.
Une grosse journée de route nous attend, 450 kms de désert. Surgissant des sables, La Mano del Desierto, est une main géante de onze mètres de haut en ciment,  recouverte des graffitis de ceux qui s’y arrêtent.
La route file, rectiligne. Les paysages arides nous rappellent ceux de l’Arizona. Il faut faire attention au carburant, car les stations sont peu nombreuses.

On se gare à l'ombre du seul arbre de ce désert, planté à côté d’une posada. Un genre de restaurant routier, qui nous rappelle les baraques au bord des routes américaines. On entre boire un soda. La télévision parle toute seule, accompagnée des bruits de fourchette de la fille de salle qui termine son repas sur une nappe pleine de tâches. Il semblerait que ce soit un lieu de passage de l’assistance du Dakar, car de nombreuses photos dédicacées et autocollants ornent les murs.

Nous faisons halte à Caldera au bord de mer. On s’est vite rendu compte que les prix des hôtels est très supérieur au budget que l’on s’est fixé. Nous remettons en service la tente, et passons une première nuit de camping depuis, pfffiouuu, des lustres. L’emplacement n’est pas terrible, loin de la mer, et surtout en plein vent que rien n’arrête. On met deux fois plus de temps à monter la tente et on croque du sable. J’arrive à bricoler un brise-vent avec la bâche qui nous sert de tapis de sol, au moins le temps de préparer le repas. 
Et le lendemain...On recommence.
Le désert, rien que du désert, parfois troublé par des mini tornades qui, au loin, soulèvent des tourbillons de sables. Je préfèrerai ne pas croiser leur trajectoire. Passive et tranquillement installée sur ma peau de bête, j'ai le temps de réfléchir à ce que sera ma vie au retour du voyage. Mais mon occupation favorite, est d’imaginer toutes les transformations que je pourrai faire à la maison. Riche de mes nouvelles idées déco, glanées ça et là depuis le départ, j’élabore de nouvelles ambiances. En plus de 400 kms, je suis capable de revoir l’agencement de la cuisine au moins trois fois, et repeindre les façades côté jardin, avant de tout effacer et de recommencer. Mais le voyage n’étant pas terminé, il me viendra surement des dizaines d’autres idées pour meubler les longues heures de route. Laurent éberlué m’entend dire d’un ton satisfait, en descendant de la moto,  qu’en quatre heures j’ai refais toute la déco du salon !
La Ruta 5 est tellement rectiligne, qu’on se demande pourquoi les abords sont jalonnés d'autels à la mémoire des disparus agrémentés de croix, drapeaux, fleurs et bibelots. Certains, par la taille des aménagements, ressemblent à des mausolées.

Dans la « Vallée de Las Tinajas », nous passons un moment à escalader un drôle de chaos de rochers alvéolés, datant de l’époque jurassique. Ils ressemblent à de grosses morilles, érodés par le vent, l’eau et le sel. Certains ont des formes animales ce qui justifie leur nom de « Zoológico de piedras ».

Pour notre seconde nuit de camping à La Serena, sur la côte pacifique, on a plus de chance, car c’est une station balnéaire chilienne très appréciée. Mon Epilady étant en panne depuis le Salvador, je zappe la plage, et préfère me prélasser sous la douche. Laurent part seul au Cerro de la Cruz del Milenio et son Christ, qui veille bras en croix sur la baie. Aux premières heures du jour, nous plions la tente pour profiter d’une très belle journée ensoleillée en longeant la côte. Nous sommes fin janvier, la saison d’été bat son plein. On pense à la France qui grelotte, tandis que nous transpirons dans nos blousons. Les plages sont prises d’assaut, et la tendance, camp de base sur le sable, se confirme. On en est sûr maintenant, il doit y avoir du provisoire qui dure, car certains camps sur les plages, ont tout du bidonville.
Un nom, qui évoque, l’aventure, la « Perle du Pacifique ». Valparaiso ! Valpo pour les intimes. Elle fût la première ville portuaire du chili, escale incontournable pour les bateaux allant de l'Atlantique au Pacifique via le détroit de Magellan jusqu'en 1914. On peut s’imaginer en flânant dans les ruelles du port, les gargotes enfumées  où les marins devaient passer des jours à attendre de réembarquer, attablés autour d’un verre, une fille de joie pendue à leur cou.
La mise en service du canal de Panama a marqué son déclin mais son cœur bat toujours, bruyant et coloré. Aujourd’hui, Valparaiso est une ville intellectuelle, bouillonnante de vie avec son pôle universitaire. On prend nos quartiers à l’hostal Patricia. C’est une ancienne maison bourgeoise réaménagée avec de beaux parquets craquants, couverts d’épais tapis, de hauts plafonds et des portes vitrées à petits carreaux qui séparent les pièces. On s’y sent presque chez soi. La moto doit rester sur le trottoir, mais il y a le wifi, une cuisine et nous sommes en plein centre près des commerces. On adore le style très « année 50 » du tramway qui sillonne les rues du centre.
On se perd dans cette ville labyrinthe avec gourmandise pendant trois jours.
Valparaiso est construite dans une anse entourée de quarante-quatre collines. Elle s’organise entre la ville basse, le port et les commerces et la ville haute si caractéristique, avec ses maisons de tôle ondulées ou de bois peintes de couleurs vives qui s’accrochent aux collines. Même les tôles rouillées ont du charme. On se demande souvent comment certaines peuvent tenir en équilibre sur des pilotis, plantées au bord d’une falaise qui menace de s’ébouler. Cette ville est irrésistible. C’est un vrai coup de cœur pour nous. On s’y sent bien.
Depuis plusieurs années, la personnalité artistique de Valparaiso s’est affirmée.
Les artistes ont laissé leur imagination débridée s’exprimer librement et il n’y a pas le moindre centimètre carré de mur, de palissade, de mobilier urbain qui ait échappé à leur frénésie créatrice.

Les devantures de bars et restaurants sont couverts de mosaïques, tout comme les bancs, et les lampadaires, avec le style « pique-assiette » qui m'enchante. Il existe même un musée à ciel ouvert, « Museo à Cielo Abierto » sur le Cerro Bellavista, ou un parcours nous fait découvrir une vingtaine de fresques signées par des artistes chiliens de renommée mondiale comme, Roberto Matta et José Balmes. Tagueurs et peintres se sont appropriés les marches des centaines d'escaliers, et par un effet de perspective, les contremarches vues d’en bas, révèlent des magnifiques tableaux naïfs. 
Même si l'envers du décor n'est pas toujours reluisant. Il y a de grands dépotoirs cachés derrière les palissades, des containers qui débordent d’ordures, des chiens qui s’entendent avec les chats pour éventrer les sacs plastiques et faire ripaille. Un petit chien des rues quitte sa bande de copains pour nous suivre toute une partie de la journée. Il s’assoit et patiente lorsque nous entrons dans une boutique, trotte devant nous et se retourne souvent pour vérifier que nous sommes toujours là. Parfois il trouve des odeurs intéressantes qui le retardent, alors il nous rejoint en courant aussi vite que ses petites pattes le lui permettent. Je n’ai jamais réussi à obtenir un tel résultat avec aucun de mes trois chiens et ce, après des mois de tentatives d’éducation canine ! Et des chiens errants comme lui, il y en a des centaines à Valparaiso.
On tombe en arrêt devant une maison, que le propriétaire a décorée en accrochant sur la façade, des jouets cassés, particulièrement des poupées démembrées, c’est d’un goût douteux, et quand le gars sort sur le trottoir, je me dis qu’en plus il a une vraie tête de psychopathe.

L'été est chaud à Valparaiso.
Evidemment, on essaie les funiculaires, il en reste quinze en service, sur les vingt sept que comptait la ville. Ils nous déposent au sommet des collines où l’on se penche sur Valparaiso, comme sur une maquette géante.

On ne peut pas quitter cette ville sans voir la « Sebastiana » la maison dans les nuages de Pablo Neruda, écrivain, homme politique, penseur et poète, qui fût Prix Nobel de Littérature en 1971. Elle se situe sur le Cerro Florida, dans son jardin les fleurs poussent sur la barbarie… des figuiers.

Il meurt lentement celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n’écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas trouver grâce à ses yeux.

Il meurt lentement
celui qui détruit son amour-propre,
celui qui ne se laisse jamais aider.

Il meurt lentement
celui qui devient esclave de l'habitude
refaisant tous les jours les mêmes chemins,
celui qui ne change jamais de repère,
Ne se risque jamais à changer la couleur de ses vêtements
Ou qui ne parle jamais à un inconnu

Il meurt lentement
celui qui évite la passion
et son tourbillon d'émotions
celles qui redonnent la lumière dans les yeux
et réparent les cœurs blessés

Il meurt lentement
celui qui ne change pas de cap lorsqu'il est malheureux au travail ou en amour,
celui qui ne prend pas de risques
pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
n'a fui les conseils sensés.

Vis maintenant!

Pablo Neruda