La Patagonie chilienne par la Carretera Austral

Nous allons quitter la Ruta 40 en Argentine pour goûter au ripio de la Carretera Austral, route mythique chilienne.
Pour se mettre en condition, on commence par 150 kms dont 35 asphaltés.

Au poste frontière argentin où les formalités sont simples et rapides, nous rencontrons Marcus, un motard brésilien voyageant seul. Il faut maintenant passer la frontière du Chili et ses contraintes draconiennes. Je suis toujours sur le qui-vive, inquiète qu’un douanier un peu trop zélé trouve mes deux carapaces de bébés tortues costaricaines enfermées dans un flacon de café vide, mon bébé flamingo bolivien enrubanné dans du papier toilette, ma corne de vache mexicaine, et ma coquille d’escargot géant du bayou américain ! 
_«Tu t’es ramené des trucs sympas de ton voyage ? ».
_ « Oui, oui, tout pour un musée des horreurs ! ».
Quand le préposé à la fouille me demande si j’ai des trucs à déclarer, les yeux dans les yeux et un sourire d’ange, je lui réponds que « No señor, no tengo nada ». Et ça marche. Je n’ai même pas eu à ouvrir les sacs !

Il fait un temps superbe. Le ciel est bleu les lacs aussi, les forêts sont vertes et moi aussi ! Verte de trouille. Car Laurent roule encore plus vite que d’habitude, pour tenir le même rythme que le brésilien, qui lui est moins expérimenté sur la piste, mais voyage plus léger que nous et à des pneus à crampons.

On est surpris par le nombre d’auto-stoppeurs sur cette fameuse Carretera Austral, qui traverse une partie du pays très peu habitée. Nous sommes en février, dans l’hémisphère sud ce sont les vacances d’été jusqu’à la fin du mois. Le matin et le soir, on retrouve ces jeunes gens agglutinés aux entrées et sorties de villages, attendant que de bonnes âmes les prennent à bord. Ils doivent attendre longtemps, car il n’y a pas beaucoup de circulation. En revanche, comme souvent ce sont des camions ou des utilitaires qui empruntent cette unique route, il y a de la place pour quatre ou cinq personnes. La plupart sont chiliens ou argentins, Mais il y a aussi beaucoup d’israélites. En discutant avec eux, on apprend qu'une fois terminés leurs trois ans de service militaire, deux ans pour les filles, ils travaillent comme des fous pendant six mois à un an et partent ensuite, durant quelques mois, pour « décompresser ». Gonflés à bloc, persuadés qu’ils sont invincibles, ils font souvent des trucs complètement dingues. Parfois fois même fatals. Leurs destinations favorites, sont l’Argentine, le Chili, et le Sud-est asiatique. C'est sauvage, bon marché, avec de grands espaces. Et beaucoup plus sûrs et accueillants que les pays limitrophes d'Israël !

Nous assistons à une petite séance de « décompressage ». Un mini-van s’arrête sur un pont, deux jeunes en descendent, se déshabillent et plongent directement la tête la première dans une rivière tumultueuse quinze mètres plus bas, avec des rochers qui affleurent ! Les copines filment et applaudissent. Donc effectivement, le service militaire, ça les rend fous !

Le ciel se couvre, la température chute, la couleur du lac Yelcho est passée du saphir au noir d'encre.

L’ambiance spectrale est accentuée par la brume qui s’est levée et flotte au dessus des eaux.

Nous arrivons à Santa Lucia, un minuscule village de deux cents âmes, et son adorable église miniature en bois. Marcus notre compagnon de route brésilien préfère continuer à rouler. Il n’y a aucun hôtel, uniquement des chambres à louer chez l’habitant. Sur les indications de notre hôte, nous achetons du pain, des œufs et une boite de gâteaux pour notre petit déjeuner dans une toute petite épicerie et nous dînons dans un restaurant familial, ce qui serait chez nous d’un restaurant ouvrier. Pas d’enseigne, menu unique servi tambour battant, mais excellent et copieux. Et à 21h nous sommes au lit.
Le matin, je cuisine les œufs brouillés sur l'antique cuisinière à bois qui chauffe également toute la maison. Le chef de famille est un ancien gaucho et sur le mur sont accrochés des objets typiques, comme le boina, béret noir d’origine basque, le facon, un grand couteau, le tirador, une large ceinture de cuir, incrustée de pièces argentées et une gourde en peau. Nous prenons congé et une fois la moto chargée, il se met à pleuvoir dru et glacé. Je plains les jeunes assis au bord du fossé dans leurs pèlerines en plastique qui se préparent à attendre des heures.

Ça parait incroyable, mais la Carretera Austral qui va de Puerto Montt, à 1035 kms au sud de Santiago, à Villa O'Higgins, soit environ 1240 kms a été commencée en 1976 et inaugurée en 1986, sous l’impulsion d’Augusto Pinochet. Mais il a fallu attendre les années 2000 pour l’achèvement total. Elle permet de relier entre elles les régions et les villages les plus reculés de la Patagonie chilienne. Avant il n'y avait RIEN ! Il aura fallu dix ans d’un travail titanesque, pour traverser les fjords, passer les cols andins, et percer les roches glacières.
Chaque année le gouvernement en bitume des petits morceaux, les plus optimistes, pensent que tout sera asphalté en 2015... D’autres disent, dans 10 ans. 
Les copains restés en France qui roulent avec des « arrache-patates » comme ils disent, lorsqu’ils lisent les articles sur le site, nous mettent en commentaires que c’est « que du bonheur » ces routes là.
_« Ben dépêchez vous de venir les fêlés de la piste, pour y goûter au, Que du bonheur, avant qu’il ne disparaisse définitivement.

Nous sommes dans la région des lacs. La piste trace son chemin à travers une forêt valdivienne, caractérisée par un climat humide et tempéré, bien différent de la partie désertique au nord du pays. Il y a des haies de fuchsias en fleurs et cette spectaculaire gunnera tinctoria, la rhubarbe chilienne, dont les feuilles découpées peuvent atteindre plus de deux mètres d’envergure. Garés à côté, elles nous réduisent à l’état de lilliputiens.

Trois cents kilomètres de pistes sous la pluie en cinq heures, ça suffit pour aujourd'hui. On se cherche un toit pour la nuit, à Puyuhuapi. Et mieux vaut ne pas trop tarder car les petites auberges, hospedaje, sont très vite prises d'assaut par les routards malchanceux qui n'ont pas trouvé de véhicule pour les emmener plus loin. Ce jour là, les établissements bons marchés sont déjà complets. Lorsque je sonne à la porte d’une coquette maison de bois, dégoulinante de pluie et chaussures boueuses, je me dis que le monsieur qui me regarde d’un air suspicieux, va me la claquer aussi sec sur mon nez déjà rougis par le froid. Il évalue la situation en me détaillant du haut en bas, je le gratifie de mon plus beau sourire, et finalement, il accepte. Ouf ! La moto trouve sa place sous un hangar à bois et il nous accroche même les blousons trempés dans son salon à côté de la cheminée. Les chambres sont à l’étage, aménagées dans le grenier entièrement lambrissé. Il y a des couettes en plumes sur les lits, mais pas d’eau chaude. Ce sera donc toilette de chat. Laurent profite de l'internet pour mettre à jour le site, pendant que je regarde tomber la pluie à travers la vitre embuée, sur le lac de Puyuhuapi.

Nous reprenons la route avec le soleil, ce qui change tout. On profite enfin des paysages de fjords, de forêts, de rivières et de cascades. Les lacs n’ont pas une ride et reflètent fidèlement, le ciel, les nuages et les collines alentours. La piste est détrempée, Laurent fait du slalom entre les profonds trous d’eau, et son possible pour éviter les gerbes projetées par les gros véhicules qui nous croisent à vive allure.

Puisque le soleil est revenu, on en profite pour aller voir le glacier suspendu du Parc National Queulat. Après une jolie balade en forêt, nous débouchons sur un lac d’un beau vert laiteux. Deux couples d’allemands prennent place à côté de nous dans une barque à moteur, pour aller voir de plus près ce glacier, qui du haut de la falaise alimente les eaux du lac de ses cascades rugissantes. Laurent révise la langue de Goethe avec Rainer et Regina. Ils voyagent avec leurs amis à travers le Chili et l’Argentine, il est très probable que nous nous croisions de nouveau, car ils prennent à peu près le même itinéraire que nous, mais dans deux luxueux 4X4. Ils sont très impressionnés par notre périple. Rainer est motard, mais sa femme n’envisage pas une seconde de voyager en moto.

De montagnes verdoyantes en pitons rocheux déchiquetés, de rivières hésitant entre le céladon et le turquoise, nous arrivons à Puerto Aysen. Cette région, certes, offre des paysages de folie, mais y vivre est particulièrement difficile, puisqu’il n’y avait aucune voie d’accès terrestre jusqu’au milieu du 20ème  siècle. Dans cette partie de la Patagonie, la densité humaine, est de 0,8 habitant/km². Le climat est froid, venté et pluvieux, les derniers sommets de la Cordillère pourtant peu élevés, à peine 2000 m forment une barrière infranchissable aux nuages venus de l’océan Pacifique. Nous nous arrêtons sans chercher plus loin, chez Carmen qui tient seule une hospedaje sur le bord de la route à l’entrée de la ville. Je ne sais pas dire pourquoi, elle me fait penser à une vielle mère maquerelle. Peut être à cause de son opulente poitrine fripée que l’on devine sous un tee-shirt noir sans manche, ou ses cheveux gris, longs et bouclés comme un caniche avec une grosse frange qui lui mange le front et lui tombe sur les yeux ; Ou bien à sa façon de mettre les poings sur ses hanches larges. Elle nous fait entrer par une cour où deux énormes bergers allemands très vieux, d’une saleté repoussante viennent nous renifler en aboyant. Nous déchargeons ce qui nous est nécessaire, avant de la suivre dans un dédale de couloirs et d’escaliers de bois qui craquent sous nos pas. Tout est de guingois dans cette baraque, comme si elle penchait d’un côté. Arrivés, dans notre chambre, Je décide de ne pas mettre mes lunettes pour ne pas voir la saleté que je devine à l’odeur. En revanche, pas besoin de mes carreaux pour voir la fente à l’angle du plafond, au dessus de mon lit, qui donne directement sur l’extérieur, et sentir l’air froid qui s’y engouffre. Le WC est dans la salle de bain commune à toutes les chambres, et là aussi, mieux vaut de pas s’interroger sur l’aspect gluant des bords de la baignoire, ni sur la couche de poussière et de cheveux sur la moquette bleue. Quand elle nous propose de dîner, je me dis qu’on va toucher le fond ! Eh bien comme quoi, il ne faut pas avoir d’apriori. On n’a jamais aussi bien mangé. Elle a dressé la table dans sa cuisine, près de la vieille cuisinière à bois qui ronronne. Carmen nous régale d’un poulet rôti aux herbes et de pommes de terre frites accompagnées d’une salade verte et d’une tarte en dessert que j’aurais pu manger même tombée par terre tant elle était bonne. Elle nous parle de sa vie, qu’elle est née en Biélorussie mais vit au Chili depuis toujours. Qu’elle est venue s’installer à Pueto Aysen il y a trente ou quarante ans, que les temps sont difficiles, et qu’elle a du mal à joindre les deux bouts, alors qu’elle travaille sept jours sur sept, sans jamais prendre de vacances. Et que Pinochet, quoiqu’on en pense, avait fait beaucoup pour le pays. Je m’endors repue et réchauffée en lui pardonnant tout le reste, même le filet d’air glacial qui me tombe sur la tête.
Nous poursuivons vers Coyhaique. La ville est animée, car elle sert de départ pour les circuits de treks dans le Parc National de Cerro Castillo mais également de fameuses parties de pêches miraculeuses dans les lacs et les fjords. C’est ce que nous racontent dans un bar, trois français du Sud-ouest, qui viennent chaque année s’adonner à leur passion.
Pendant ces journées de route, il ne se passe rien de spécial, on ne tombe pas en panne, on ne tombe pas du tout, d'ailleurs ! Je tempête toujours autant, toute seule dans mon casque, d'être bringuebalée sans ménagement tant j'ai l'impression de voyager assise sur un marteau piqueur.  Mais c'est beau à regarder...Fatiguant mais beau.

Heureusement, j’ai l'Homme de la situation. Jamais impressionné ni effrayé par les pistes, jamais fatigué et jamais compatissant.
Le ciel est d’un bleu limpide, seul un nuage pris au piège de vents tourbillonnants se déchire au sommet du Cerro Castillo, une belle arête rocheuse perchée à 2675 m. Nous décidons de nous arrêter là pour la nuit, car demain toute une journée de piste assez difficile nous attend. Une hospedaje accueillante, petites emplettes à la pulperia, l’épicerie du coin, et nous dinons, serrés auprès du poêle à bois en grande discussion avec un prof d’histoire chilien, un peu baba cool.

Et le lendemain, nous repartons dans un train d'enfer, dans des paysages paradisiaques. Rivière lagon couleur d'opaline, forêts de caduques et de résineux accrochées aux reliefs montagneux. Mais très vite la pluie s'invite.

C’est à ce moment là que nous rencontrons Valentine et Gonzague, sympathiques jeunes mariés lillois, en voyage en moto pour six mois. Ils ne sont pas du tout équipés pour la pluie et le froid. Valentine, sur son petit blouson de cuir été, porte un poncho en plastique vert kaki qui se déchire de peur ! Des protections de genoux comme si elle était en train de faire du roller et un casque d’enduro sans visière ni lunettes tout comme Gonzague qui nous demande en riant s’il n’y a pas un magasin d’équipement un peu plus loin sur la route. Partis de Buenos Aires vers Ushuaia, ils ont fini par abandonner à cause des vents violents, et ont décidé de couper par les Andes afin de rejoindre la façade pacifique. C’est mignon des jeunes mariés ! Ça vit d’amour et d’eau fraîche, sauf que là l’eau fraîche ils en ont un peu marre ! Bon voyage de noces quand même, vous verrez, ça va vous souder, cette expérience !
Comme dit l'adage, après la pluie vient le beau temps ! Et il revient si vite qu’un arc en ciel se forme comme l’entrée d’un passage vers un autre espace temps.

Nous sommes seuls à profiter de ces paysages du bout du monde, car on s’en approche. Encore quelques jours et nous serons en Terre de Feu.
Le lac sur notre gauche est à cheval entre Chili et Argentine. Il s’étend sur 1850 km², c'est le deuxième plus grand lac d'Amérique du Sud, après le Titicaca.  Le « Lago General Carrera » pour sa partie chilienne, change de nom et devient « Lago Buenos Aires » en Argentine. C’est une ancienne cuvette glacière, profondément encaissée côté chilien entre des montagnes qui plongent dans ses eaux turquoise. Fascinés, nous ne le quittons pas des yeux pendant les 250 kilomètres de piste qui le longe, taillée dans les flancs rocheux.
Á Puerto Tranquillo, nous trouvons une chambre chez l’habitant pour la nuit. Puis, nous embarquons sur un lac démonté pour admirer la curiosité locale, la « Capilla de Marmol », la Cathédrale de Marbre. Un très gros champignon de pierre, au large, percé de cavernes entre les parois desquelles la petite barque se faufile. Il faut parfois baisser la tête pour passer sous les voutes. Une fois le moteur muet, on entend juste le clapot des vaguelettes qui se brisent sur les parois lisses de pierre blanches veinées de noir. L’eau est turquoise et transparente, il ne manque qu’un rayon de soleil. Le retour prend une demi-heure, le vent soulève de grosses vagues qui nous éclaboussent et nous glacent. Heureusement nous avons gardé notre équipement de moto. Les autres passagers sous leurs pèlerines en plastique bleu marine se protègent comme ils peuvent des assauts du vent chargé d’embruns. Avec leur capuchon pointu, on dirait les membres d’une secte très étrange, que nous surnommons avec malice, « les encapuchonnés de Marmol ». 

Très tôt le matin nous prenons la route, sous un ciel chargé. Un trou dans la couche nuageuse dispense un faisceau de lumière quasi divine sur la surface lisse du lac.

Les vents patagons que je redoute tellement ne se sont pas levés. On est plutôt chanceux jusqu'à présent. 
Nous faisons une pause-café dans un joli petit bourg. Nous croisons deux motos. Ils s’arrêtent en voyant notre plaque minéralogique. C’est un couple de français, accompagné d’une guide chilien ! Je vois les yeux du gars qui papillotent en nous disant qu’il a la même moto que la nôtre dans son garage en France, et qu’on a de la chance de faire ça. Nous, on n’est jamais d’accord avec cette affirmation. Ça n’a absolument rien à voir avec la chance ! Il a juste fallu en faire une de nos priorités, c’est tout. Le guide les pressent de repartir, car ils doivent être à Coyhaique ce soir ! Et qu’il va falloir éviter de s’arrêter toutes les cinq minutes, sinon ça ne va pas le faire ! Quelle horreur ! Non seulement ça doit leur coûter un max en moto de location, qui plus est accompagnés, mais en plus, ils le font chronomètre en main. On les laisse à leur triste sort. Non mais quelle idée de prendre un guide, impossible de se perdre, il n’y a qu’une seule route !
Toute la journée, la piste longe ce lac extraordinaire, parfois elle le surplombe, parfois, elle vient frôler les flots.

Ce soir nous dormirons de nouveau en Argentine. En attendant, on profite des derniers paysages de la Carretera Austral. Des rivières au fond des gorges,  tombent en joyeuses cascades d'eau cristalline et coupent notre route pour se jeter dans le lac. Mariage heureux de l’eau et de la Terre

La terre, parlons en ! Parfois le revêtement est très mou, car pour entretenir la piste et boucher les trous, de gros camions bennent des tonnes de terre mélangée de cailloux avant de l'étaler en couche épaisse, aussi glissante qu’une tartine de Nutella. La dameuse est censée passer ensuite…Ou pas !

Nous arrivons à Chile Chico à la frontière argentine. Tout en haut du belvédère, la Plaza del Viento, récemment inaugurée, rappelle qu'il y a du vent en Patagonie ! De là-haut, on aperçoit tout au bout de la route qui traverse le bourg, le poste frontière chilien. Sur ce promontoire, nous voyons arriver un couple de jeunes allemands parlant parfaitement français, voyageant avec une vieille BMW de 1982 peinte en kaki, look camouflage. Des purs et durs, fanas du style militaire avec selle en bois découpée maison pour rouler dans la rivière et tout le matos venant des surplus de l'armée. Non mais de quoi je me plains ?! Sous sa veste de chasse, une matraque télescopique pour assommer les chiens mordeurs, et une machette, pour trancher son saucisson, j’imagine ? Comme dit ce « sympathique garçon » que je ne voudrais surtout pas contredire, « je ne peux rien casser que je ne puisse réparer moi-même ».
Plus loin au poste frontière, j’attends Laurent, à côté de la moto garée sous le grand drapeau argentin, bleu ciel barré de blanc. Je me retourne pour un dernier regard sur les montagnes chiliennes.

Au total, on aura roulé 610 kms sur les 1240 de la Carretera Austral dont seulement 220 asphaltés.
Pas si mal !
Je regarde vaillamment devant moi, car la partie la plus difficile du voyage nous attend…Si c’est possible.
Du village Perito Moreno à Tres Lagos, de la piste, de la piste, de la piste ! Pas de ville, pas d'essence, rien que des paysages.
On va en manger du caillou.


Derniers kilomètres avant la Fin du Monde


Nous sommes de nouveau en Argentine. Nous plantons la tente dans l’herbe grasse du camping de Los Antiguos. La ville, idéalement située sur un versant bien ensoleillé de la rive sud du Lago Buenos Aires est au centre d'une zone d'agriculture fruitière intensive, notamment la cerise. Mais plus que les fruits rouges, ce qui nous frappe, c’est le monument édifié à la gloire des Iles Malouines, dessinées en travers du drapeau national avec la légende : « Fueron, son y serăn Argentinas », (étaient, sont et seront argentines). La guerre des Malouines en 1982, a laissé un mauvais goût dans la bouche des argentins, semble-t’il. Sujet de vindicte populaire récurrent envers ses foutus anglais qui, sous Thatcher, n'avaient pas apprécié de voir les lointaines terres de Sa Majesté, envahies par les anciens occupants ! Le conflit avait été orchestré par la junte militaire argentine, en place depuis 1976, souhaitant fédérer le peuple derrière une cause d’intérêt national, tout en asseyant son pouvoir. La réplique immédiate de Madame Thatcher, infligea une sanglante défaite aux argentins qui eu pour conséquence de précipiter la chute du régime dictatorial en 1983.
Et des murs comme celui-ci, nous en verrons de plus en plus au fur et à mesure de notre descente sur Ushuaia.
Nous partons aux aurores, car une rude journée s’annonce. Nous faisons le plein du réservoir, du bidon de dix litres, et des réserves de nourriture, cinquante kilomètres plus loin dans la petite ville de Perito Moreno, qui n’a rien à voir avec le glacier du même nom. Au delà, on n’a pas la certitude de trouver de l’essence sur environ 650 kms. Cette portion de la Ruta 40, n’est plus du tout entretenue, car elle est passe d’être doublée par la nouvelle route en construction dont certains tronçons sont déjà asphaltés. Comme disent nos copains motards, enfin certains, et même certaines : « C'est que du bonheur » !
Pour moi, le bonheur, c'est quand ça s'arrête et que je descends du marteau piqueur.
Mais c’est la condition sine qua none pour profiter des paysages extraordinaires. Á 360° et aussi loin que porte le regard, il n’y a que des roches rouges, ocres et rouilles qui dévoilent leur teneur en minéraux, des nuages blancs laiteux peints sur une toile bleu infinie, la pampa et nous sur une moto qui file vers la fin du monde. Au loin, paissent les troupeaux de guanacos, camélidés patagons, qui prennent la fuite au bruit du moteur et sautent d’un bond élégant les clôtures qui bordent les routes. On aperçoit aussi les nandous de Darwin, sorte d'autruche spécifique de la Patagonie, qui mesurent environ 1m50 et peuvent courir jusqu'à 60 km/h. Ils nous font des départs canons en zigzaguant lorsqu’ils entendent la moto arriver. On peut souffler entre chaque portion de caillasse en empruntant la nouvelle route par intermittence, qui normalement est interdite à la circulation. Ce qui nous vaudra, plusieurs fois d’avoir à faire demi-tour en arrivant au bout du bitume sans pouvoir rejoindre la piste.

Quelques deux cents kilomètres plus loin, on arrive à Bajo Caracoles assez tôt dans l'après midi. L’épicerie fait bar, vend des sandwiches et de l’essence. Enfin quand les pompes seront approvisionnées. On a bien fait d’être prévoyant car en Patagonie argentine, il y a souvent des ruptures de carburant. Un hostal au milieu de quelques cabanes en bois qui ont l’air abandonné est tenu par un gars qui est également policier. On prend un café avec un couple d'autrichiens voyageant chacun en BMW 800 GS, ils remontent d'Ushuaia, et en ont un peu bavé, la piste, la neige, le vent...Bon ben je suis prévenue ! Je suis admirative devant cette femme qui a mon âge et qui avale les pistes, seule sur sa moto et suit sans faiblir son homme qui a au moins dix ans de moins qu’elle. Bon Ok, elle mesure 1m75 et a des épaules de déménageur, mais bon, respect quand même, ma belle !

Nous décidons de dormir là, vu qu'après, pendant les prochains 450 kms à part la pampa à perte de vue, on ne sait pas trop à quoi s’en tenir.

Tandis que j’écris un nouvel article, Laurent discute avec deux frères de Vancouver en Kawasaki KLR qui font une pause. L'un des deux, a un joint spi de fourche mort. De l’huile sur les tubes, l’avant qui plonge, et une tenue de route altérée, pas terrible pour rouler sur la piste. Malgré tout, ils repartent en direction d’El Chalten, notre étape de demain. Je dis à Laurent que nous avons vraiment de la chance de n’avoir rien cassé sur des routes pareilles. Il me répond de ne pas parler trop fort, que ça va nous porter la poisse !

On hésite une demi-seconde entre un lit à l’hostal et la possibilité de planter la tente gratuitement, dans un coin plein de cailloux du terrain en pente.
_« Faut que tu sois en forme pour conduire demain mon amour, hein ?! »
Un coup de jet d’eau sur sa belle, histoire de tuer le temps et de la débarrasser de la boue du ripio chilien, et nous allons nous balader en regardant le soleil se coucher sur la pampa, le ciel devenir jaune bouton d’or et les montagnes violettes.

Et au matin nous repartons sous un soleil radieux.

Les quatre vingt premiers kilomètres sont asphaltés, « Yeeeeeesssssss ».

Juste avant d'attaquer la piste, Laurent fait le plein du réservoir avec le bidon de secours.
« Ah ben t’en as versé plein à côté !... Oh, mais ça ce n’est pas de l'essence, c'est de l'huile. De l'huile ?! Mais elle vient d’où cette huile ? De...de...de l'amortisseur. Ah j’aurais peut être mieux fait de me taire hier soir ! ».
En clair, le joint a lâché, il n'y a plus de suspension hydraulique, il faut contraindre le ressort pour essayer de compenser.
Bon ça tape un peu, mais moins que je ne l’imaginais.
Il y déjà si longtemps que nous roulons sur cet océan de cailloux, que j’en perds la notion du temps. Laurent s’efforce de poser ses roues dans le fond des ornières laissées par le passage des véhicules. Ça vaut pour les lignes droites. En courbe, bizarrement les traces disparaissent, et là je sens que la moto cherche sa route sur la couche épaisse de sable et de cailloux qui se dérobent sous les roues. Ça donne une sensation de glisse et de flottement, que je déteste. Je ferme les yeux en me disant qu’on risque d’aller tout droit et de tomber, et de mourir. Je voudrais juste que ça s’arrête. Et comme par enchantement, mes vœux vont se réaliser. Deux puissants 4X4 nous doublent. Le temps de tourner la tête, je réalise que ce sont les allemands que nous avions rencontrés, il y a quelques jours, dans le parc du glacier Queulat sur la Carretera Austral. Je leur fais de grands signes, en pensant qu’ils vont s’arrêter. Ils agitent la main, mais continuent leur route sans comprendre mes supplications. Déconfite, je vois mes rêves de confort disparaitre dans un nuage de poussière et de gerbes de pierres. Dix minutes plus tard, on aperçoit les deux 4X4, arrêtés au loin sur le bord de la piste. Ils doivent être en train de profiter du paysage. Je prie pour qu’ils ne redémarrent pas avant notre arrivée. Ouf, ils nous attendent ! Laurent leurs explique notre problème d’amortisseur, et immédiatement ils acceptent de charger les bagages dans les 4X4…Tous les bagages ! Yeeeeeesssss !

Oui je sais, c'est moche... C'est de la désertion, mais la moto était soulagée d'un poids conséquent et Laurent heureux de ne plus m'entendre brailler derrière.
Au final, il a pu rouler aussi vite que les gros 4X4 qui survolaient littéralement la piste.

Pendant ce temps, je fais banquette en papotant en anglais avec Rainer et Regina. Nous redoublons Laurent parti un peu avant nous. Il lève le pouce, tout va bien. Je vois au compteur, que sa vitesse est d’environ 70 km/h, je me dis que c’est dingue mais en même temps, je pense au Dakar ou les mecs en moto roulent à plus de 150 sur des pistes comme ça.
_ « T’as de la marge, bébé » !
Nous le perdons de vue pendant plus de deux heures. Je réalise qu’il n’a pas pris de bouteille d’eau. Immédiatement je tourne un film catastrophe dans ma tête, et s’il tombe, et si personne ne le trouve, et s’il doit marcher dans ce désert pendant des heures ? Je demande à Rainer de stopper s’il voit arriver une voiture en sens inverse. Mon idée est de donner une bouteille d’eau à des gens qui roulent dans l’autre sens afin de croiser Laurent, qu’ils ne pourront pas rater, vu qu’il n’y a qu’une route. Aussitôt dit aussitôt fait, bras en croix au milieu de la piste, j’arrête la première voiture qui passe, explique au chauffeur qu’il doit la remettre au premier motard qu’il va croiser ! Le voyage se poursuit. La jauge à essence approche du niveau zéro, inexorablement. Nous passons à côté d’une station service abandonnée. « Ach grosse malheur ! ».  Le seul espoir est un point sur la carte, Tres Lagos, cent trente kilomètres avant notre destination El Chalten. Le 4X4 de Rainer est presque à sec. La station service n'a pas été ravitaillée, les cuves sont vides. Après une quart d’heure de palabres, la pompiste, prend sur elle de nous vendre une partie du stock personnel du patron.  Pendant que Rainer verse le précieux liquide dans son réservoir, un couple de motards chiliens arrive, lui aussi sur la réserve, Ils viennent d’El Chalten et vont vers Bajo Caracoles. Et soudain, je reconnais le bruit de la GS. Je n’en reviens pas, Laurent nous a rattrapés. Nous le pensions plus d’une heure derrière nous. Et en plus, il a eu le temps d’aller dans le village de Tres Lagos, de trouver de l’essence chez un particulier, qui a accepter de lui vendre quelques litres à trois fois le prix. Ici l’essence vaut de l’or !
« T’as eu la bouteille d’eau ? ».
« Quelle bouteille ? ».
Rainer, sympa, rempli le réservoir du motard chilien. En quelques minutes, trois nouveaux véhicules arrivent à la station. Ils sont bons pour attendre une hypothétique livraison...Aujourd'hui peut être...Ou alors demain !

Nous reprenons la route pour El Chalten,  et là, c’est 130kms de pur billard qui nous attendent. Avec en point de mire les dents banches du Fitz Roy, comme une récompense, après ces 460 kms de la Ruta 40 qui relèguent presque le Sud Lipez en Bolivie, au rang de balade du dimanche...C'est dire !
Mon homme est un « warrior » !

En arrivant en ville, on se jette goulument sur la pompe à essence. Un gars s’approche de nous pour discuter, comme c’est le cas en moyenne dix fois par jour. Il nous raconte que la veille, il a conduit un motard à l’hôpital de Gobernador Gregores. Le gars qui voyageait avec son frère, s’était cassé la clavicule en chutant. Avec Laurent, on se regarde, ce sont les deux motards canadiens de Bajo Caracoles…Un joint spi, égal une clavicule ! Un amortisseur, à ton avis, ça vaut combien ?!
Nous sommes dans le Parc National « Los Glaciares ».
El Chalten, au pied du Fitz Roy qui la domine de ses 3405 m, est une petite ville champignon qui s’est vraiment développée à partir de 1985 avec la mode grandissante du trek.
L'escalade de cette montagne est réputée l'une des plus difficile au monde, notamment du aux conditions climatiques extrêmes. Ce gros monolithe granitique, n’a été vaincu pour la première fois qu’en 1952 par le français Lionnel Terray. La ville sert également de camp de base pour les départs de treks et de randonnées. Avant  que Moreno, son découvreur le nomme Fitz Roy, les indiens Telhueches appelaient ce pic, « Cerro Chalten », la montagne qui fume. Effectivement le sommet est souvent dans les nuages, qui lui font comme un panache de fumée blanche, ce qui lui a valu d’être considéré à tort comme un volcan jusqu’en 1901.
A l’heure où nous arrivons, il reste peu de choix pour l’hébergement. Nos amis allemands sont dans un super hôtel, nous, fidèle à notre credo, on s’en moque. Des lits superposés, dans un hostal feront l’affaire. Je fais trois courses à la superette, de quoi préparer un plat de pâtes, une douche et zou au lit.
Le lendemain matin, on déménage, l’hostal est cher et bruyant, le nouveau est bruyant mais moins cher, car en travaux ! Á nous les joies du dormitorio, partage de chaussettes sales et de ronflements avec des espagnols très sympas.

Pour notre premier jour on fait soft. Deux petites heures de grimpette jusqu'au mirador pour embrasser la vallée et la ville au pied du majestueux Fitz Roy. Le ciel est dégagé, on voit bien les pics enneigés, les arêtes rocheuses, et pour nous donner l’échelle, on regarde les minuscules maisonnettes dans la vallée. Le soir nous retrouvons nos amis allemands pour déguster une bière et les remercier de leur aide. Je leur précise que c’est la deuxième fois que je suis sauvée par des allemands, la dernière fois, c’était dans le Sud Lipez en Bolivie. Nous les quittons, ils continuent leur voyage en direction du glacier Périto Moreno. Tandis que nous nous accordons une journée de plus sans roulage pour profiter un peu de la montagne. Laissons refroidir les pneus et faisons chauffer les semelles.
Tandis que je fais les courses pour notre pique nique montagnard du lendemain, Laurent me dégotte un bâton de marche.  
Après avoir étudié plusieurs itinéraires de randonnées nous nous décidons pour un trek de huit heures qui mène à un lac de glacier « Los Tres » au pied  des dents du Fitz Roy de l’autre côté de la montagne.
Départ six heures du matin. Il fait moins beau qu’hier. Nuages bas et brume, masquent les sommets. Nous laissons la moto à l’entrée du sentier. Il s’élève peu à peu dans une forêt de résineux et de feuillus. Nous marchons sans bruit sur un tapis souple d’aiguilles de pins. Seule notre respiration et les craquements de brindilles troublent la paix des sous bois. Á l’abri des arbres, au bord de la Laguna Capri, un camp de base pour trekkeurs s’éveille. Il y a des hommes et des femmes qui préparent leur matériel. Á côté d’eux on a vraiment l’air de touristes. Puis les arbres disparaissent. Une végétation basse de lengas, arbustes typique des forêts de Patagonie, émergent des herbes hautes, dans des terres gorgées d’eau. Accrochés aux branches, des lichens vert tendre « barba de viejo » (barbe de vieillard) ressemblent à des mèches de cheveux très fins.  Le sentier à flanc de montagne, dévoile de beau à pics, des glaciers aux gorges bleutées, des roches  colorées de rouille et de vert de gris,
Au loin, dans une vallée on voit le Rio de las Vueltas qui mène au Lago del Desierto. C’est la voie possible, par les lacs et quelques tronçons de pistes, pour rejoindre Villa O’Higgins au Chili, l’extrémité sud de la Carretera Austral.  Je me retourne, El Chalten n’est plus qu’un minuscule point derrière la cime des arbres. Il disparait définitivement lorsque le sentier contourne la montagne.
Le chemin est très bien balisé. Les passages critiques sont aménagés de ponts de bois et de pilotis qui permettent de traverser les zones marécageuses. Petit à petit, le monde minéral s’impose et nous arrivons au bas d’un sentier de pierre taillé dans la moraine. C’est un empilement de roches broyées par les mouvements du glacier, qu’il nous faut escalader pour atteindre le lac « Los Tres ». Laurent, s’est trouvé un bourdon de bois, et, comme d’habitude caracole en tête. Aidée de mon bâton de marche, je mets plus d’une heure à franchir ce passage difficile.

En tout, il aura fallu quatre heures trente pour atteindre le pied du glacier, pas si mal pour des néophytes.
Il est midi, le ciel est bas, les nuages paressent, et peinent à s'élever au dessus des pitons rocheux. Le Fitz Roy reste invisible. On se contente de pique-niquer devant la jolie flaque de lait turquoise du lac glacière.

Au bout d’une heure, en plein vent, il fait très froid. On décide de redescendre.
De retour en ville, nous sommes vannés !  Et en fin de journée, après neuf heures de marche, nous avons les jambes raides et douloureuses. 

Le lendemain matin, moto chargée, on appréhende un peu son comportement routier. L’amortisseur à perdu beaucoup d’huile, il a fallu contraindre le ressort pour durcir un peu la suspension. On verra bien !
Le soleil matinal illumine le Fitz Roy, tandis que nous quittons El Chalten. Il nous faut revenir sur nos pas, sur environ cent kilomètres et bifurquer en direction d’El Calafate et du glacier Perito Moreno. La route longe le Lago Viedma alimenté par le glacier du même nom. Il est d’un bleu turquoise laiteux totalement irréel, et bordé d’une lagune bleue foncée, ce qui offre un contraste étonnant. Je le prends en photo sous toutes les coutures. Nous sommes au cœur du Parc National « Los Glaciares » classé UNESCO depuis 1981. Il s’étend sur 4 459km², et fait partie du « Campo de Hielo Sur » de Patagonie C’est la troisième calotte glacière, après l'Antarctique et le Groenland, elle couvre 16 800 km² situés dans la Cordillère des Andes à cheval sur Chili et Argentine.

Jusqu'à El Calafate on en prend plein les yeux.
Nous nous installons dans un camping ombragé près du centre ville. Comme la journée est bien avancée, nous remettons au lendemain la découverte du glacier Perito Moreno. Nous préférons lui consacrer une journée entière, de plus, mieux vaut laisser les bagages au camping plutôt que sur la moto garée toute la journée sur un parking. Pour passer le temps, on se balade en ville, et nous croisons nos amis allemands à qui cette fois nous disons adieu, car leur voyage se termine dès le lendemain. Et en sortant du supermarché, nous tombons sur Mary, l’américaine que nous avions brièvement rencontrée au Pérou. Elle est déjà de retour d’Ushuaia, car comme beaucoup elle a zappé la Bolivie. D’après elle la piste n’est pas trop mauvaise en Terre de Feu. Bon Mary, si tu le dis…
Très tôt le matin, nous partons pour Le Perito Moreno à 80 kms d’El Calafate. L’entrée du Parc est payante. Soudain au détour d’un virage, il apparait au loin. On ne voit qu’une petite partie et plus on se rapproche, plus on se rend compte que c’est imposant. Le front de glace s’étend sur cinq kilomètres et couvre 250 km². Au plus profond, la couche de glace atteint 700 m d’épaisseur. Il avance de deux mètres par jour dans le Lago Argentino, si bien qu’il fini par atteindre la rive opposée du lac, le partageant en deux. Sous la poussée, une arche de glace se forme peu à peu et se creuse jusqu’à rompre. Ce phénomène prévisible se produit environ tous les quatre ans.
Complètement fascinés par le spectacle de cette masse gigantesque qui respire, éructe, craque et explose, nous sommes restés la journée entière à contempler ce mur de glace d’environ 170 m de hauteur dont 75 sont immergés. Un système de passerelles et de plateformes très moches, permettent d’assister au spectacle sous des angles différents en protégeant le site du piétinement des millions de visiteurs. En permanence, de puissantes déflagrations annoncent la chute des pans de glace. C’est une véritable féerie de sons et de lumières qui ponctue chaque respiration de ce monstre en pleine santé. L’un des rares glaciers qui ne soit pas en régression. La passerelle qui ramène au parking longe le lac Argentino. De gros glaçons détachés de ses flancs, dérivent et fondent lentement au fil de l'eau. Certains sont comme éclairés de l'intérieur par une lueur bleutée, résultat très complexe de compacité de la glace et de diffusion optique.

De retour à El Calafate, on se laisse tenter par le restaurant du camping qui prépare une super parilla. La seconde passion des argentins après le maté, c’est la viande. Bœuf, mouton, porc, poulet, et toutes sortes de saucisses et boudins aux herbes, tous grillés sur d’immenses barbecues et servis la plupart du temps à volonté. Je récupère quelques os à ronger pour la chienne qui a élu domicile devant notre tente. Décidément, dans tous les pays d’Amérique du Sud, il y a des chiens errants. Souvent ce sont de gros toutous très amicaux, et il nous est arrivé plusieurs fois d’être adopté par l’un d’entre eux au cours d’une balade. Mais dès que nous sommes en moto, il faut vraiment s’en méfier, car beaucoup détestent voir les roues tourner. Ils nous pourchassent en aboyant tous crocs dehors, quand ils ne se jettent pas tout simplement en travers de la route.
De bon matin, une file interminable de voitures attend pour faire le plein à la station service. C’est la seule sur les trois de la ville à avoir été ravitaillée. Pas moyen de resquiller il faut patienter en attendant notre tour. Les ruptures d’approvisionnement en carburant sont fréquentes et mieux vaut faire le plein dès qu’on en trouve sans attendre de vider le réservoir, sous peine de rester coincé sur place, au mieux plusieurs heures, au pire plusieurs jours !

Après une heure d’attente nous pouvons enfin reprendre le fil du voyage. Aujourd’hui nous repassons au Chili, pour nous rendre aux Torres del Paine.
« Qu'est que tu photographies ? » me demande Laurent.
« Rien ! »
Je me rends compte que sur de nombreuses photos, il n'y a rien…Je photographie le « rien ».
« Rien » végétal et minéral ...
« Rien » à perte de vue, pas âme qui vive, aucune ville, pas de maison,

« Rien » au bout de la route.

Mais pour nous européens, ce « rien » est tellement fascinant, c’est justement ce qu’on est venu chercher ici, celui qu’on ne se lasse pas de parcourir et qu’on ne trouve pas en France. Le rien, ici en Argentine ça s’appelle la pampa, qui en quechua signifie plaine. Au total, ces vaste prairies herbeuses dépourvues d’arbres, couvrent une superficie de 750 000 km² et englobent l’Uruguay et une région du sud du Brésil. C’est plus grand que la France ! 
Au bout d’une piste roulante, une barrière, un drapeau et quelques maisons blanches aux toits verts, c’est la douane. On s’acquitte  rapidement des formalités avant d’entrer dans le Parc National « Torres del Paine ». Le vent n’est pas trop fort, le relief s’accentue, de petites montagnes jaunes et noires poussent autour de nous. On fait même un peu de rabe de piste en se trompant de direction. Enfin on arrive à Cerro Castillo, un joli petit bourg et ses maisons en rondins, qu’on se demande bien d’où ils sortent, vu qu’il n’y a pas un arbre à l’horizon.  

Nous faisons quelques emplettes à l’épicerie au cas où nous ne trouverions rien à manger au camping ce soir. C‘est là que nous rencontrons une famille suisse qui voyage en vélo ! Et les enfants pédalent comme les grands. Pour s’entrainer, ils avaient fait le tour de la Sardaigne. Cette fois, Sylvia et Nicolas initient leurs enfants Laura, 7 ans et Joey, 9 ans aux frissons du voyage au long cours. Ils sont en autonomie totale, avec un équipement de pros, car ils campent, pêchent, et vivent au plus près de la nature, quelque soit la météo. Nous avons visité leur site internet, et je suis complètement bluffée par leur aventure familiale. C’est un cran au dessus du Manuel des Castors Juniors ! Il faut dire que les parents sont de vrais baroudeurs et des sportifs aguerris. Avant d'avoir les enfants, entre autres exploits, ils avaient déjà descendu tous les deux, la rivière du Klondike, au Yukon, 800 kms en canoë et en autonomie totale ! Amoureux du monde et de ses lumières, Nicolas est photographe et  ils vont passer sept mois en Patagonie. En remontant sur la moto, assise sur ma peau de bête blottie dans le dos de mon pilote, je me dis que ce que l’on fait c’est de la rigolade à côté d’eux.
Bon il faut rejoindre le camping du Parc avant la nuit. Allez, encore un peu de poussière, de piste en tôle ondulée, du « rien », une lagune au reflet métallique, qui capte les derniers rayons obliques d’un soleil froid.
L’entrée du parc national est payante et très chère, c’est valable si on reste une semaine pour randonner. On aurait pu se contenter de les regarder de loin ces trois pics granitiques…Laurent grand prince, propose de dormir à l’hôtel, il parait que c’est pour la St Valentin.
« Ben ! Qu’est ce qui te prend, d’abord on est le 22 février, et on ne l’a jamais fêté, c’est le grand air qui te rend romantique ?! »
En pensant aux petits suisses qui passent toutes les nuits dehors je refuse, en plus, vu le standing de l’établissement, ce doit être hors de prix, mais par contre, je veux bien manger au refuge. Du coup on plante la tente et on dine au chaud. Bon deal !

Il fait un froid de canard. À 6 h quand le réveil sonne après une belle nuit étoilée à 0°, je n’ai aucune envie de quitter la douce chaleur de mon duvet. Et sans aucun remord, je laisse Laurent partir seul sur les sentiers du Torres del Paine pour un trek de huit heures. Je dors une bonne partie de la journée tandis qu’il crapahute dans la montagne. Le soleil à décidé de m’imiter, il se lève timidement et se recouche aussitôt. Tout comme le Fitz Roy, les Torres resteront dans les nuages. Pas de chance. Laurent me raconte que de nouveaux panneaux ont été plantés sur le sentier rappelant qu'il est interdit de brûler son papier hygiénique ! En janvier, Un jeune israélien, y aurait mis le feu, déclenchant un incendie attisé par les vents violents de Patagonie. Á ce jour, 14 500 hectares de végétation sont déjà partis en fumée ! Catastrophe écologique et économique majeure pour cette région très touristique du Chili.
Dès le lendemain matin, le beau temps est de retour et les Torres nous narguent. Elles rient de toutes leurs dents acérées et se dressent juste au dessus de nos têtes tandis qu’on plie la tente. Plus on s’éloigne, plus elles s’inscrivent dans le paysage, de rivières saphir, de lagunes turquoise, pour n’être plus que des quenottes perdues au bout d’une piste.
Punta Arenas, à 400 kms, est notre dernière escale avant la Terre de Feu. Je m’amuse de voir un gaucho suivi de son chien, chevauchant à travers la pampa bordée de montagnes enneigées, son téléphone portable collé à l’oreille…Voilà un homme très à cheval sur la tradition et la modernité.
Le sud de la Patagonie, sur la façade pacifique, est une région de fjords, d’immensités vierges, habitées par les troupeaux de moutons, les guanacos, les nandous et des milliers d’oiseaux marins. On aperçoit ça et là quelques arbres tordus et penchés par la force des vents.

Nous atteignons Punta Arenas une ville portuaire datant de 1850 qui visiblement a subit différentes influences. En centre ville, il y a des maisons bourgeoises à l'architecture d'inspiration française et leurs toits à la Mansart étrangement bleus, maisons en tôles colorées et taguées, dans le pur style Valparaiso, des façades jaunes et blanches néoclassiques pour le grand hôtel Plaza, des bâtiments municipaux austères bombardés de peinture lors d'une manif...Les chiliens aiment la couleur ! On sent qu’ils cherchent à réchauffer l’atmosphère qui en moyenne, sur l’année, ne dépasse pas les 6°.
Pour nos deux nuits sur place on se trouve un petit hostal familial et très calme. La dame nous regarde des pieds à la tête, et nous explique qu’elle se réserve le droit de refuser les routards. Nous devons avoir de bonnes bouilles, car elle accepte de nous louer une chambre. Il y a l’eau chaude, et une cuisine que nous pouvons utiliser. Une journée c’est encore de trop pour visiter la ville. Un belvédère nous offre une belle vue sur le détroit de Magellan. Sur un poteau télégraphique en bois sont cloués des dizaines de panneaux indiquant des directions. Il semblerait que nous soyons à 13 280 kms de Paris.
Flâneries emmitouflées en bord de mer, pour profiter d’un timide rayon de soleil. Les nuages défilent à toute allure et couvrent le ciel en couche épaisse ce qui refroidit l’air instantanément. L’avenue principale est bordée d’arbres tordus dont les feuilles s’accrochent désespérément aux branches. Cette terre est hostile et tout le monde lutte pour survivre. Pour s’en convaincre il suffit d’aller faire un tour au musée de la vie patagonne.

On termine la journée au chaud près du poêle dans la cuisine. A peine couchés, je crois entendre une sirène d’alarme. La propriétaire frappe à notre porte, c’est la moto qui hurle. On se rhabille en 4ème  vitesse, et on la trouve couchée par terre sur le trottoir. Le client de la chambre qui donne sur la rue, a vu un garçon s’enfuir. Il a du monter sur la moto, et effrayé par le bruit de l’alarme, l’a faite tomber en descendant précipitamment. Ce n’est pas très grave, mais c’est encore le côté droit qui a pris, et ma valise, déjà cabossée par deux fois, est de nouveau déboitée. L’étanchéité ne se fait plus, et à chaque fois qu’il pleut, je retrouve dans le fond l’équivalent d’un verre d’eau.
Tôt le matin, nous prenons notre place dans la file d’attente pour embarquer sur le ferry qui nous emmène en Terre de Feu. Le soleil nous accompagne pendant la traversée du détroit de Magellan.
Nous sommes en route pour la Fin du Monde.


USHUAIA Séquence émotion

La traversée prend deux heures.
Fernand de Magellan fût le premier européen à découvrir en novembre 1520, ce passage naturel entre l'Atlantique et le Pacifique. 
Les premiers explorateurs, appelèrent Terre de Feu, ces rivages où ils apercevaient, de leurs bateaux, les feux allumés par les amérindiens, occupants des îles depuis 12 000 ans. 
Ces malheureux indigènes qui vivaient pratiquement nus, le corps peint ou vêtus de peaux de lions de mer, ont été capturés, montrés comme des bêtes de foire, car considérés comme des animaux et bien évidemment massacrés ou anéantis par les maladies amenées par les colons.
Le ferry nous dépose à Porvenir. Il faut de nouveau dégonfler les pneus car il y a 150 kms de piste jusqu'à San Sebastian et la frontière argentine, puis 80 jusqu’à Rio Grande. On commence par longer la mer, puis la piste s’en éloigne. Quelques arbres drapeaux, « arbol bandera » dont les branches ne poussent que d’un côté, juste pour nous rappeler que ça souffle fort ici.

Nous faisons un détour par Bahia Inutil, sur les conseils de la famille suisse pour observer une colonie de pingouins rois. Ils ressemblent aux empereurs, poitrail blanc gorge jaune et queue de pie noire et mesurent près d’un mètre.

En fait le site est gardé et payant. C’est trop cher car on ne peut pas les approcher, ils sont en période de nidification. Je renonce et laisse Laurent y aller seul. Il revient une demi-heure plus tard sans avoir vu grand-chose. C’est vraiment l’arnaque.
_« Oups, que ce passe t’il ? ».
Laurent freine brutalement et s’arrête. La roue arrière est crevée. Moi je ne me suis rendue compte de rien, comme on est tout le temps secoué.

Après des milliers de kilomètres de pistes, de ripio, d’ornières, et de tas de trucs qui trainent sur les routes, on crève pour la première fois, à vingt minutes de l'asphalte au milieu de la pampa. C'est balot ! 
Il faut laisser la moto sur place, car on n'a pas la bonne clé pour démonter la roue arrière. Il y a une estancia toute proche et on a de la chance qu’elle soit au bord de la piste, car la plupart sont à des kilomètres au bout d’un chemin de terre. On peine à pousser la moto chargée, dans les cailloux jusque devant le portail. Les propriétaires sont absents. Il n'y a qu'un gaucho et ses neuf chiens. Ils gardent des moutons, ils vont bien garder nos chevaux !
Le gars n’a pas l’air d’avoir la lumière à tous les étages, il est prognathe et roule des yeux ahuris. Avec son air benêt, et son béret on dirait Fernand Raynaud dans l’un de ses sketches. Il ne correspond pas vraiment à l’idée que je me faisais du gaucho selon la définition que j’avais trouvé sur internet. Homme simple et rude, farouche et brave, honnête et brutal...et solitaire. De plus on ne comprend rien à ce qu’il dit et lui, ne nous comprend pas non plus. On prend rapidement quelques affaires et tout ce qui craint, et on se plante sur la piste à l’affût d’un véhicule.

C’est aussi la deuxième fois de ma vie que je fais du stop, à un mois d’intervalle ! Tout arrive !
Après trois voitures qui accélèrent au lieu de s'arrêter, je me jette littéralement devant la quatrième, qui accepte bien gentiment de nous emmener jusqu'au poste frontière de San Sebastian à vingt kilomètres de là. L’idée, c’est de trouver une clé tors, retourner à la moto démonter la roue, revenir, passer la frontière et se rendre à Rio Grande à 80 kms en stop, faire réparer la roue et repartir toujours en stop, repasser la frontière remonter la roue! Un peu compliqué, mais on n’a pas le choix.
L’espoir aussi, c’est que Laurent est en contact avec Ivan, un motard d’Horizon Unlimited habitant Rio Grande, qui pourra peut être nous donner un coup de main, ou de clé.
Mon homme qui n’a pas les deux pieds dans la même botte, dégotte une clé tors, premier miracle, on est quand même au milieu de nulle part. Arrête une voiture et  repart en stop à la moto, deuxième miracle. Sympa, le conducteur lui prête son téléphone pour appeler Ivan à Rio Grande, tandis que j'attends patiemment au bar qu'il revienne, en scrutant l'horizon à travers les vitres poussiéreuses. Une heure plus tard il est de retour, sans la roue…Ce n’est pas la bonne clé. Il se fait tard, et le bar qui fait hôtel est complet. On n’a pas le choix, il faut aller à Rio Grande. La chance nous sourit encore, une famille en Renault Kangoo nous accepte à bord.

Les formalités de sortie du Chili et d'entrée en Argentine se font très rapidement. Le paysage défile. Une des richesses de l'île ce sont les gisements de gaz naturel. On voit brûler les torchères dans un ciel gris plombé que le soleil illumine, jouant à cache-cache dans les nuages.
Le chauffeur du Kangoo, appelle Ivan, un grand gaillard souriant qui vient nous chercher et nous conduit dans un hôtel. Le lendemain, lundi 27 février est un jour férié qui commémore la création du drapeau argentin, et Ivan ne travaille pas. Il va consacrer toute sa journée à notre problème de crevaison. Je reste à l’hôtel, tandis que Ivan et Laurent muni de la fameuse clé tors, récupérée dans un garage miraculeusement ouvert, font quatre aller/retour, quatre entrées/sorties Chili/Argentine, huit coups de tampon sur les passeports, pour démonter, revenir faire réparer, repartir, remonter la roue... Et revenir.

Merciii Ivan. 
Pendant ce temps là, j'observe depuis ma fenêtre, quatorze motos de locations garées devant l’hôtel, qui s’offrent 15 jours de « Que du bonheur » à prix d'or.

Pour terminer en beauté cette folle journée, et remercier Ivan de son immense gentillesse nous l’invitons avec Virginia et leurs enfants au restaurant.

Nous avons perdu une journée, il est temps de reprendre la route pour Ushuaia. Á la station service, un pick-up équipé d’une cellule habitable attire notre attention. En gros et en rouge est écrit « La Cagouille ». Ca me dit quelque-chose. Mais oui, Yannick le toulousain rencontré à Bariloche, nous avait parlé d’un couple de périgourdins retraités, voyageant depuis trois ans.
« Bébé, ce sont eux ! ».
Nous allons les saluer et papoter un peu. Michel et Bernadette viennent de Bergerac à bord de leur  « Cagouille ». Ils ont des centaines d'anecdotes à raconter de leurs voyages à travers tous les continents. 
J'ai visité leur « coquille ». C’est génial, ils ont un grand lit dans la capucine, la partie qui avance au dessus de l’habitacle du 4X4, une mini cuisine un mini salon, une douche, des WC et plein de petits rangements. J’adore ! On dirait une maison de poupée. Et en plus contrairement à un camping-car, ça passe partout. J’invite Laurent à visiter la merveille en caressant le secret espoir de le convertir. En remontant sur la moto, il me dit, laconique : 
«Dans tes rêves ! ».
« Je t’aurai un jour, je t’aurai ! ».

Nous sommes le 28 février. Ce soir nous dormirons à Ushuaia…au bout du monde.
En quittant la ville on sent que le sujet  des Malouines, est chaud bouillant. Les slogans « Malvinas son Argentinas », et les monuments à la mémoire des héros morts pour la patrie, se multiplient. Eh oh les gars, la guerre est terminée depuis 1982 quand même !
Asphalte, oh asphalte comme je suis heureuse de te retrouver. Il fait beau, encore quelques kilomètres de platitude avant que la route monte et redescende, serpente tranquillement entre les lacs, et les monts enneigés. On a un peu de chance, car les premières neiges sont tombées la semaine dernière,  il y en avait dix centimètres et tout à fondu. La route longe un lac immense, les forêts ont poussé comme par enchantement ainsi que les montagnes. En levant les yeux on aperçoit le Col Garibaldi.  C’est fou de penser que la liaison terrestre pour Ushuaia ne date que de 1956. Plus que cinquante petits kilomètres avant l’objectif de notre voyage.
Fin del Mundo.
Mais je suis aussi très excitée à l’idée de revoir nos amis savoyards. Dans leur dernier mail, ils nous disaient qu’ils nous attendraient à Ushuaia. La route s’élève lentement en lacet et nous arrivons au col. Un arrêt s’impose pour admirer le lac Escondido en contrebas. Nous passons sur l’autre versant qui est à l’ombre et il reste encore pas mal de neige dans les bas-côtés. Et puis soudain je la vois. La caravane de Philippe et Fabrice nos savoyards préférés. Ils nous ont attendus avant de reprendre la route. Garés sur une grande aire de repos, ils ont établit leur campement pour la nuit. On se saute dans les bras. Partis du Canada qu'ils ont traversé jusqu'en Alaska, ils avaient ensuite tiré plein sud. Depuis notre première rencontre à Tikal, au Guatemala le 13 octobre, puis Cartagena en Colombie, un mois plus tard, nous les avions retrouvés à Cusco puis à Puno au Pérou pour le jour de l’An. Et nous voilà tous les quatre réunis au bout du monde, à Ushuaia, quel bonheur ! La caravane a bien souffert des pistes chiliennes et argentines. Jantes toutes gondolées, soudures multiples, porte qui ne ferme plus hermétiquement,  mais elle tient le choc, malgré les déformations. Les garçons aussi !
On se donne rendez vous en fin d’après midi pour faire les courses de notre dernier  diner ensemble, car ils repartent le lendemain matin aux aurores. Oh la la, ça sent la fin du voyage.
USHUAIAAA !!!
C’est écrit en gros sur les deux énormes colonnes de pierre carrées surmontées d’un chapeau pointu, juste avant de passer un poste de contrôle. J’aperçois dans le fond, la mer qui scintille sous le soleil. Je regarde partout avec avidité, je passe mes bras autour de la taille de Laurent et le serre fort, très fort. Les larmes me montent aux yeux. Oubliés les centaines de kilomètres de piste, les angoisses, les pleurs, les engueulades, il ne reste à cet instant là que la joie intense d’être arrivé. Un accomplissement. Nous n’avons rien fait d’extraordinaire, juste roulé. On a souvent entendu dire que Ushuaia ce n’était pas terrible. C’est sûr que pour quelqu’un qui descend de l’avion, être là ne représente pas la même chose que pour nous qui arrivons par la route, du Cercle polaire en Alaska. Il suffit de regarder une carte du monde pour en avoir le vertige. Ce moment est particulièrement fort et restera inoubliable. On en rêvait, on y est.
En 1998, tous les français découvraient Ushuaia, grâce à l'émission de Nicolas Hulot, qui ouvrait une fenêtre sur le monde. Et puis qu’est ce que ça représente la ville la plus australe du monde ? Selon la définition de l'ONU, La dernière ville habitée de plus de 20 000 habitants. Elle s’étale sur les bords d’une magnifique baie à l’embouchure du canal de Beagle. En langue Yamanas, ses premiers occupants, Ushuaia signifie, « Baie qui pénètre vers le couchant ». Avant de découvrir la ville, nous nous mettons à la recherche d’un hébergement. Je suggère le camping. Mais mon amoureux veut du confort ! Ah ben c’est nouveau ! Il faut dire que le temps est incertain, on se dit que ça doit souffler fort là-haut, vu la vitesse à laquelle avancent les nuages, et il fait assez froid, genre 5 ou 6°, pas plus. On trouve sans trop de difficulté un hostal, avec internet, et soyons fous, une chambre individuelle avec un grand lit. Il y a beaucoup de monde et surtout de jeunes routards, qui ont l’air très bruyant.
Les garçons nous rejoignent sur le port. Le ciel est menaçant, mais les rayons du soleil couchant, trouvent leur chemin à travers les nuages noirs. Ce qui donne une lumière fabuleuse très contrastée. On prend de très belles photos du port commercial avec ses murs de containers multicolores éclaboussés d’or. Nous faisons quelques courses pour diner avec les garçons, qui nous donnent des infos sur les trucs à voir en ville. 
Et le soir, nous les retrouvons dans leur « home sweet home ». La caravane, si elle a beaucoup souffert, est toujours aussi accueillante. Et résonne une fois de plus d’éclats de rire à l’évocation de nos aventures. On se quitte tout triste. Ce n’est pas certain que l’on se revoit. Bonne nuit les loulous et faites attention sur la route. 
Pas de planning, on a juste envie de prendre le temps de vivre quelques jours tranquillement. Jusqu’à maintenant, il y avait toujours un impératif de date à respecter. Ne pas être trop tard en Alaska, à cause de la météo, être fin juillet à Miami pour passer les vacances avec les enfants en Floride, et surtout, estimer le temps nécessaire pour atteindre Ushuaia avant les frimas. Objectif atteint. On a le droit de souffler un peu, sans avoir un œil sur le calendrier.
Il fut un temps où Ushuaia ne respirait pas la joie de vivre.
La ville a été fondée en 1884, après que des pasteurs anglicans y aient établit une mission sur les bords du canal de Beagle. Au commencement, une prison militaire était installée sur l’Île des États, mais pour des raisons sanitaires et humanitaires, elle fut déplacée  et fusionna avec la prison des récidivistes  en fonctionnement depuis 1896. Le gouvernement argentin avait prit comme modèle les geôles anglaises en Australie car il est toujours plus compliqué de s’échapper d’une prison construite sur une ile. Ce sont donc les détenus eux-mêmes qui construisirent le nouveau bagne, à l’ouest de ce qu’est aujourd’hui Ushuaia. Durant la première partie du 20ème  siècle, la ville grandit autour du bagne. Car une politique de peuplement de la zone encourageait les familles des détenus à s’installer sur place. Les hommes étaient occupés à couper le bois et construire les maisons de la ville. Nous nous sommes plongés dans cet univers carcéral.
Le bagne a été transformé en musée. Le bâtiment est en forme de pieuvre, avec un hall central qui permettait de surveiller les couloirs sur deux niveaux. Une partie des bâtiments est restaurée et met en scène des mannequins de cire représentant détenus et matons. Cellules exigües, objets du quotidien, graffitis sur les murs, racontent la vie des bagnards. On imagine les hommes marcher avec de lourdes chaines attachées aux chevilles entrainant un boulet. Exposées dans des vitrines, des armes blanches fabriquées avec des morceaux de fer aiguisés, suggèrent des bagarres sanglantes entre détenus. Au contraire, certains écrivaient des poésies ou sculptaient avec finesse de très beaux objets  en os ou en corne. La vie de bagnards célèbres est évoquée, en particulier celle de Santos Godino « le Petit aux grandes oreilles » pyromane et tueur d’enfants. Toute une partie du musée est consacrée aux évènements marquants de la conquête de ces territoires lointains et des différentes expéditions antarctiques. Le plus impressionnant fut de découvrir la partie de la prison restée dans « son jus ». L’air y est glacial, les murs décrépis sont recouverts de salpêtre, le minuscule poêle à charbon ou à bois du couloir devait peiner à réchauffer l’atmosphère.
On retrouve l’air libre avec délice. Le temps est nuageux et frais, la neige tombée la semaine dernière a blanchi les sommets environnants. Nous nous promenons en ville. Le concept « Fin del Mundo » inspire et fait vendre. Dans le port, les gros bateaux de croisières déversent leurs flots de passagers qui le temps d’une escale, dévalisent les boutiques de souvenirs. Plus loin des bateaux de guerres enguirlandés, sont prêts à célébrer le trentième anniversaire de la défaite de la guerre des Malouines, le 2 avril. Sujet d'actualité brulant entre l'Angleterre et l'Argentine. Entre provocation et amour-propre chatouilleux, ça pourrait bien re-péter un jour entre ces deux là. Ushuaia après avoir été la capitale de la « Fin del Mundo » a été rebaptisée « Capital de Malvinas » Il y a partout en ville des panneaux qui l’affirment. La tension est montée d'un cran très récemment après le refus des autorités portuaires argentines de permettre à deux bateaux de croisière anglais de ravitailler à Ushuaia. Sur une grande pancarte à l’entrée de la zone de fret, il n’est pas nécessaire de parler espagnol pour comprendre le message. « Prohibido el amarre de los buques piratas ingleses ». Ça nous rappelle que Nick et Ivanka, les anglais que nous avions rencontrés en Alaska, doivent arriver dans deux jours. J’espère pour eux qu’ils ont un bon sens de l’humour. Ils sont avec Glenn, l’américain rencontré la première fois au Mexique et Adrian, l’australien.  Ils étaient déjà ensemble au Nicaragua. Et nous devrions tous nous retrouver pour un diner au bout du monde.
En flânant, on tombe en arrêt devant une mini moto bleue, un 70cc de chez Honda, peint et décoré comme un bus indous. Ah voilà une machine qui passe partout ! Deux minutes plus tard son propriétaire arrive. Oliver est un jeune allemand, qui est parti d'Allemagne en 2008, il a parcouru L'Europe, l'Asie, l'Australie, et depuis quelques semaines il est en Amérique du Sud. Et là, il revient de 10 jours en Antarctique...Gratis. Débrouillard, il s'est fait embaucher comme main d'œuvre de nettoyage sur un bateau. Juste pour donner une idée, une croisière passager en antarctique coûte entre 7 et 12 000 €.
Nous arpentons la ville avec entrain. Toutes les rues tombent à pic sur la mer et lorsque l’on marche dans les hauteurs, on a une très belle vue sur la ville et ses montagnes toutes proches qui se reflètent dans les eaux calmes de la baie.
Je craque toujours sur les maisons de tôle ondulée. Je suis étonnée d’en voir autant, car les hivers sont un peu rudes tout de même. La tôle aurait elle des propriétés isolantes que nous ignorons chez nous ? En tous cas je rêve d’exporter le concept à La Ville aux Dames, mais je ne suis pas sûre que ça plaise à mes voisins.
Un truc qui nous a bien occupés aussi, c’est partir à la recherche de tous les panneaux routiers et indicateurs. Celui de l’esplanade face au port, «  Ushuaia Fin del Mundo » devant lequel la moto se prend pour une star. Trois japonais en ligne, la mitraillent sous toutes les coutures. Elle finira  peut être en fond d'écran sur un ordi nippon, va savoir ! Le panneau de la Ruta 3, qui indique Buenos Aires à 3040 kms.

Mais le véritable, celui de la fin de la Ruta 3, le kilomètre 3079, se trouve dans le parc national Tierra del Fuego à Bahia Lapataia. Il indique également le Cercle Polaire en Alaska à 17 848 kms. Prochaine mission, trouver celui du « km 0 » à Buenos Aires.
On en profite pour randonner dans le parc. 
Les lichens et les champignons colonisent les arbres. Les castors, espèce importée, sont sous très haute surveillance. Les sous bois ressemblent aux sous bois, fjords et rivières, ont la couleur de ceux que l'on a déjà vus...

La seule différence, c'est qu'on est en Terre de feu, à Ushuaia, et cette idée lorsqu’elle me traverse l’esprit  me fait monter les larmes aux yeux. Je me répète ça tout haut pour être sûre de ne pas rêver et prendre conscience de cette réalité. 
« Non mais t’as une idée de là où nous sommes bébé ? ».
Personne ne vit plus bas sur la Terre que là où nous avons nos pieds !
C'est également un peu la fin du voyage. Même s'il reste encore pas mal de chemin à parcourir avant l'avion du retour. Tous les kilomètres que nous ferons désormais nous rapprocheront de la France, de nos enfants de nos familles et amis. 
Surtout, ne pas céder à la mélancolie. 
On s’installe au bord d’une rivière pour pique-niquer. Il n’y a pas cinq minutes que nous sommes assis sur l’herbe rase qu’un énorme rapace se pose tout près de nous. Je retiens mon souffle pour ne pas l’effrayer et doucement je sors l’appareil photo. On n’est pas au Puy du Fou, la bestiole n’est pas domestiquée. Il nous regarde en tordant la tête sur le côté. Il a une sorte de huppe noire ébouriffée sur la nuque, la peau nue sur la base de son bec est orangée et la pointe crochue, un peu nacrée. Ses pattes sont jaunes et ses ongles vernis noir. Les plumes de son corps sont un dégradé qui va du noir sur le haut des pattes au beige très clair strié sur son poitrail et son cou. Un second vient se poser, un peu plus petit, suivi d’un troisième qui semble être un jeune. Ses plumes et son bec ont des couleurs différentes. C’est une famille de Caracara, espèce considérée en voie d'extinction selon les infos récoltées. Ils ne sont absolument pas farouches et s’approchent très près de nous. Je les aurai presque caressés si je n’avais pas eu peur de me faire gober un doigt.
Madame, monsieur et leur bambin braillard et tyrannique ont passé plus d’une heure avec nous à picorer nos miettes. Amusés, nous assistons à leur manège. Les parents font mine de s’approcher des miettes et le jeune se jette sur eux en vociférant, et c’est le cas de le dire, pour leur retirer le pain de la bouche. Je les ai pris en photo sous tous les angles. Ce fut une très belle rencontre. C’est à regret qu’on les abandonne.
Le lendemain matin, nous décidons de prendre de la hauteur. Un sentier de randonnée monte au glacier El Martial, enfin ce qu’il en reste. Sur le parking un couple de motards australiens vient de se garer. Bien sûr nous faisons connaissance et de concert nous escaladons la moraine. En pleine ascension, je double une fille en bottes à talons qui risque à chaque pas la chute ou l’entorse. Je trouve que les nanas sont bien compliquées.
Rien à voir avec le trek au Fitz Roy, mais ça grimpe bien quand même. En deux heures, on arrive au glacier. Depuis qu'on a vu le Perito Moreno, on est blasé. Celui-ci ressemble à un minuscule glaçon, mais devait être, il y a bien longtemps gigantesque, car vu d’en haut on se rend compte de l’empreinte qu’il a laissé dans les roches.

En revanche, le panorama sur Ushuaia et la baie est absolument grandiose.

On grignote notre sandwich au pied d’un rocher à l’abri du vent et nous redescendons. Angela et Grant, le couple australien, nous attendent sur le parking et nous nous retrouvons dans un bar pour trinquer à l’aventure.  Normalement, ils ont chacun leur moto, mais Angela après avoir chuté deux fois sur les pistes, s'est cassé la clavicule et ne peut pas conduire pendant plusieurs semaines. Elle prend les bus tandis que Grant suit en moto. Pas cool. Good luck, les tourtereaux.

Pour notre dernière journée, c’est grasse matinée. La nuit a été plutôt agitée, rires, et cavalcades dans les couloirs. Ah ces chers routards ! Et ce matin, dans les sanitaires des filles, j’ai du slalomer entre les dégueulis des demoiselles qui non seulement, ne tiennent pas l’alcool, mais font aussi preuve d’un manque total de correction en ne nettoyant pas leur émissions nauséabondes.
Au programme, shopping dans les boutiques de souvenirs. On tombe en arrêt devant trois motos garées en ville. Mais on la connait celle-ci ! C’est celle de Mark et Maggie, les australiens que nous avions rencontrés au Nicaragua. Ah ben si ça se trouve, tous les autres sont là aussi. Le temps de le dire, Mark, sans Maggie rentrée en Australie, arrive accompagné de deux gars qu’on ne connait pas, André un suisse allemand et Kevin, un australien. On s’embrasse, on papote. Ils sont installés au camping. Un peu évasifs, Mark nous dit que non, Nick et Ivanka les british, Glenn et Adrian, ne sont pas avec eux. Je sens qu’il y a baleine sous gravier. De retour à l’hôtel, un mail de Glenn nous attend. Ils arriveront dans la soirée. En attendant, nous nous rendons au cabinet médical de Liliane.
Nous avions rencontré cette femme sympathique dans une station service entre El Calafate et les Torres del Paine. Elle avait été particulièrement intéressée par notre voyage, car son propre frère voyageait beaucoup, lui aussi, en moto à travers le monde. Elle nous avait laissé son numéro de téléphone au cas où nous aurions besoin d’aide. Elle est très contente de nous revoir et nous passons un moment à discuter ensemble.

Nous la laissons finir sa journée et elle promet de venir nous dire au revoir demain matin avant notre départ. 
C’est notre dernière soirée.
Silencieux, le regard vague, devant une bière, dans la vitrine d’un bar, le sourire nous revient instantanément lorsque cinq têtes connues se collent de l’autre côté de la vitre! Les voilà ! L’ambiance cosy du bar en est toute perturbée. Un serveur immortalise nos bruyantes retrouvailles, et je me dis que les sujets de Sa Majesté n’étant pas super bien vus dans le coin, on va finir par se faire virer à parler anglais aussi fort.
Que des vieilles connaissances !
Nick et Ivanka, en 1150 GS, les britanniques croisés en Alaska sur la Dalton highway, puis à Leon au Nicaragua, Glenn et son KLR rencontré à Palenque au Mexique, puis également à Leon, et Adrian, sans son copain Tim, rencontré lui aussi à Granada au Nicaragua, puis à Cartagena en Colombie avec les Jess’s.  
Autant dire que la soirée a été animée, et gourmande. On s’est offert une pantagruélique parilla. Glenn est en face de moi et nous discutons en français. J’en profite pour lui dire que nous avons rencontré Mark avec deux autres compagnons de route, et que je m’étonne qu’ils ne soient pas tous ensemble. C’est là qu’il me raconte ce que je soupçonnais un peu.
Depuis que nous les avions quittés à Granada au Nicaragua, ils roulaient tout le temps en groupe. Mais n’ayant pas tous le même rythme de vie, et de conduite, des tensions avaient peu à peu miné leurs relations. Et un jour, Mark, Andre et kevin, toujours prêts les premiers et roulant beaucoup plus vite que les autres avaient fait sécession. Peu à peu, ils ne les attendaient plus et partaient sans prévenir. Finalement il y a eu clash et depuis plusieurs semaines, la rupture était consommée. Glenn m’avoue que de temps en temps il s’échappait lui aussi et roulait seul pendant plusieurs jours et qu’à chaque fois il faisait de belles rencontres qu’il n’aurait jamais faites s’il était resté en permanence avec le groupe.
C’est vrai que voyager à plusieurs expose moins à la rencontre. Le groupe forme une entité que les gens n’osent pas toujours aborder, et ceux du groupe font moins d’effort pour s’intéresser aux autres. Et puis, tout prend plus de temps, manger, faire le plein, choisir un hébergement, les arrêts pipi, cigarette, photo, ça va une semaine, au-delà c’est plus compliqué, je trouve d’ailleurs surprenant que Nick et Ivanka, en voyage de noce, aient pu passer la quasi-totalité de leur voyage en groupe. 
On a aussi souvent remarqué que les anglophones, du moins ceux que l’on a rencontré, font peu d’effort pour parler une autre langue que la leur. L’anglais étant international, ils s’attendent à ce que les autochtones les comprennent. Nous, français, dès que nous sortons du pays, nous sommes confrontés à une langue étrangère, donc nous n’avons pas le choix, faut s’y mettre ! C’est vrai que nous sommes favorisés pour l’apprentissage des langues latines, ce qui n’est pas du tout le cas de l’anglais.  D’une oreille, j’écoute vaguement Ivanka qui est à ma droite. Elle parle en véritable chef de clan, haut et fort d’un ton péremptoire. Je me surprends à penser que j’aurais eu bien du mal à la supporter tous les jours. Et comme pour me conforter dans cette idée, elle tend son bras au dessus de mon assiette sans un mot d’excuse et s’empare d’un morceau de viande dans le plat que Glenn et moi partageons. Le morceau passe devant mon nez et atterri dans l’assiette de Nick qui un peu gêné lui dit : « tu aurais pu demander au lieu de le voler », « je préfère voler » répond t’elle. Ah t’es comme ça ma fille, eh bien je confirme, tu ne pourrais pas être ma copine.
Nous nous quittons sans être sur de nous revoir, qu’importe, il n’y a vraiment que Glen que je regretterai.

Une fois de retour dans notre chambre, à la faveur de l’obscurité, on évoque avec émotion ceux que nous ne reverrons pas.  
Les Jess’s, nos compagnons de route au Costa Rica, en Colombie et en Equateur, avec qui nous avions passé Noël à Cuzco au Pérou, ils sont rentrés au Canada depuis le 21 février. 
Delphine et Cédric, le couple de cyclistes belges. On a lu sur leur site que Delphine suite à une mauvaise chute s’était fracturée l'épaule en Colombie. Ils continuaient, malgré tout, le voyage en bus après avoir envoyé leurs vélos au Pérou. Ils y sont actuellement quelque part du côté du canyon del Pato...Á nouveau en vélo. 
Nous avons eu aussi des nouvelles de Joel, le new-zélandais rencontré lors de notre aventure dans les montagnes du Chiapas au Mexique, puis au Bélize et au Guatemala. Il est arrivé en Bolivie, chez son frère. Peut être reprendra t’il la route, plus tard. 
Demain nous quittons Ushuaia. Le temps se couvre, de gros nuages obscurcissent le ciel...Et mon cœur.