A quel moment le déclic se fait il ?
A quel moment décide-t-on de partir ?

Partir ! Qui n’a pas rêvé de tout plaquer et respirer le parfum de l’aventure ? Vivre à son rythme, se laisser porter par la vie, abandonner le ronronnement quotidien en osant sortir de  son univers habituel, se confronter à soi-même et au monde ?
Bref ne pas faire comme les autres et assouvir ses envies d’ailleurs.
Il m’a fallu 44 ans pour rencontrer Laurent.
Tous les deux, nous avions construit une vie chacun de notre côté, famille, maison, boulot, et des rêves bien au chaud dans les replis de nos âmes vagabondes.
Allez savoir pourquoi, le destin s’en est mêlé.

Depuis 2005, nous faisons route commune et résidence séparée. Cette organisation nous convient car Laurent, divorcé, a deux enfants, une fille de 13 ans et un garçon de 15 ans qui vivent avec leur mère en région parisienne mais restent très attachés à leur maison d’enfance dans la campagne tourangelle. Moi, divorcée également, je suis très attachée à la mienne, proche de Tours. Et elle est bien trop petite pour une famille recomposée. Mon fils de 21 ans qui vivait en internat à Nantes depuis huit ans a trouvé un emploi à Tours et a décidé de vivre chez son père.
Voilà trente-deux ans que je travaille, mon poste de déléguée médicale ne me comble plus, et tous les jours je pars bosser à reculons, ce qui m’empêche d’avancer ! En clair, rien ne me retient vraiment.
Laurent lui, a un poste de manager dans l’hôtellerie. Á ses moments perdus,  il plonge dans des lectures subversives : Géo, National Géographic, et se perd dans les méandres des sites internet de grands voyageurs.

Et puis un soir de l’automne 2009, confortablement lovés dans un canapé en cuir vert anglais devant la télé, zapette en main, plaid sur les pieds, on tombe en arrêt sur l’émission « Long Way round ». Les aventures de deux copains en moto BMW à travers le monde. Je crois que c’est là que ça a fait « tilt ».
Une idée lancée, comme une boutade, un truc, aussi improbable que de gagner le pactole du loto, et « si on partait nous aussi ? Longtemps ! Loin ! En moto !».
Cette idée, germe, s’enracine  et n’en fini pas de résonner dans nos têtes.
Impossible de la chasser.
La petite musique de liberté, enfle et  devient une véritable symphonie qui squatte chaque cellule de notre cerveau.
Nos balades, les vacances en moto ne nous suffisent plus, on veut du long terme, de l’exotique, du dépaysement, des grands espaces, en un mot l’aventure avec une grand A.
C’est décidé, on part en moto pendant un an, à la découverte des Amériques, du Nord au Sud, du Cercle Polaire à Ushuaia !
Je crois qu’on en a toujours rêvé chacun de son côté, puis ensemble, silencieusement et peu à peu les mots ont donné vie à cette idée folle.
Il y un tas de choses à régler, toute une organisation à mettre en place avant d’ouvrir cette parenthèse dans notre vie et partir l’esprit tranquille.
 
Alors on fait comment ? Une moto, deux motos ? Laquelle ? Et pourquoi pas avec son side-car ?
L’idée est intéressante. Laurent essaie de me convaincre que c’est LE truc idéal pour voyager. Stable, sans aucun risque de chute, possibilité d’emmener tout le matériel nécessaire pour deux sans restriction grâce au grand coffre, et aussi, pouvoir le conduire à tour de rôle.
Mouais ! Mais je trouve que c’est inconfortable et donc pas question que je sois passagère du Truc, ni en selle ni dans le panier.
Je décide donc, de me trouver MON moyen à moi !
Malgré un permis en poche depuis cinq ans et quelques 75 000 kms parcourus, à travers l’Europe, au guidon de mes diverses machines, je dois me rendre à l’évidence, je ne me sens pas capable physiquement de gérer ma moto, seule jour après jour, sur tous les terrains. Car même si, selon Coluche, la bonne hauteur, « c’est quand les deux pieds touchent bien par terre », je dois l’avouer, il y a des moments ou chaque centimètre compte ! Et avec mes 160 petits centimètres,  il en manque environ dix, pour être à l’aise partout. Laurent prévoit de nombreuses portions de pistes, ce qui me fait un peu peur. Vu mon manque d’expérience tout terrain, il y a trop de risques de chutes et de conséquences sur ma capacité à reprendre la route. En tombant à l’arrêt, je me suis déjà foulé le pied… alors de la piste !
C’est que, ce ne sera pas une balade à Loches ! On ne part pas quinze jours, mais un an, et si je suis en difficulté, Laurent ne pourra pas conduire deux motos !
En fouillant sur le Net, je tombe sur le site « Quadtrek.net » de Marc et France, un couple de canadiens ayant voyagé à travers leur pays, les USA et le Mexique avec leurs quads. Idée géniale !
Ça règle d’un coup tous mes problèmes de hauteur et d’équilibre quelque soit le terrain. Laurent en side-car, moi en quad. Le rêve !
La bonne idée de Carole, devient aussitôt l’excellente idée de Laurent.
Exit le side-car, sur lequel il faudrait apporter trop de modifications pour le renforcer en prévision des mauvaises pistes, alors qu’un quad est conçu pour ça. Et un seul véhicule suffira, car on pourra conduire à tour de rôle en réduisant les frais.
Mais on a très vite déchanté.
Laurent contacte les canadiens par mail, en leur demandant des infos … et là, patatras,  le rêve s'effondre devant la réponse laconique de Marc, « IMPOSSIBLE DE ROULER SUR LES ROUTES BITUMÉES AU CANADA » ni dans la plupart des États d'Amérique du Nord.  Cet engin n’est homologué que pour les chemins.
Pas de chance !
C’est à ce moment là que l’achat du gros trail routier de chez BMW s’est imposé. J’ai du me résoudre à n’être que passagère pendant ce voyage au long cours sans espoir de toucher le guidon car les constructeurs font des motos de plus en plus hautes, et je n’ai pas pied moi, sur une BMW 1200 GS, même avec une selle creusée. Hélas, je n’ai pas les jambes d’Adriana Karembeu…Sniff.
En même temps, 1 mètre 26 de hauteur de jambes, sur un total d’1 mètre 60, il ne me resterait pas beaucoup de place pour mon cerveau !
« Allez fais pas ta râleuse, tu poses tes bottes sur les repose-pieds, tu mets ton casque, et tu profites du paysage ».
La moto est achetée neuve au printemps 2009, équipées de valises en alu hermétiques et d’un top-case. Elle est superbe.
Pendant les vacances, histoire de la tester, on lui fait découvrir, les Alpes, la Suisse, l’Autriche, l’Espagne et l’Ecosse. Laurent la trouve parfaite.
Le voyage sera pour moi une grande première, car je n’ai jamais été passagère pendant plus de cinquante kilomètres!
Afin d’accepter au mieux mon futur statut, je réfléchis à tout ce qui serait agréable en étant juste posée sur la selle, derrière.
Je pourrais, contempler béatement les épaules de mon amoureux ou bien y accrocher un lecteur DVD portable. 
Chanter à tue tête seule dans mon casque, ou compter les ours, les crocodiles, les stations services, les lamas, et recommencer…
Je pourrais aussi dormir, serrée comme un sushi, entre les sacoches, et le dos de mon homme.
En fait, j’en rajoute un peu, mais petit à petit je vais surement m’y faire… Ou pas ?

Maintenant qu’on sait avec quoi, il faut savoir où  et quand.
Où, c’est sûr, ce sera le continent américain, du plus au Nord au plus austral.

Mais cela ne suffit pas de savoir où nous allons, Laurent entreprend une longue préparation de l’itinéraire. Avec Internet, tout devient plus simple et on a les réponses immédiates aux diverses questions que l’on peut se poser. Mais ça prend du temps…beaucoup de temps, le soir après la journée de travail.
Répartition des taches oblige, je lui laisse carte blanche sur l’ordinateur, il me fait confiance pour les courses et la cuisine !
On achète quelques guides et toutes les cartes routières disponibles des différents pays traversés, car Laurent ne veut pas entendre parler de GPS. Il fait des estimations de kilométrages, correspondant aux étapes quotidiennes ; recense les sites touristiques incontournables que nous voulons visiter, en découvre d’autres au gré de ses recherches ; Vérifie les possibilités d’approvisionnement en carburant ; Les différents types d’hébergements, hôtels, campings, car nous emmènerons notre matériel testé en Ecosse. Il fouine partout sur les sites internet, en particulier sur celui d’Horizons Unlimited, source inépuisable de précieux conseils pour les motards voyageurs et les tours du mondistes. Il est sur tous les forums pour récupérer les infos nécessaires à l’élaboration du périple, qu’il reporte dans un document Excel ce qui lui permet de vérifier la faisabilité sur un an, en tenant compte de deux impératifs, dates de congés scolaires, contraintes climatiques, et date de reprise du boulot.
En effet, nous voulons monter au Cercle Polaire en Alaska, et la période idéale est brève, surtout en moto, il nous faut y être en Juin ;
Nos enfants doivent nous rejoindre pour les grandes vacances en Août en Floride, nous devrons impérativement arriver à Ushuaia  avant mi mars. Infatigable, galvanisé par les bons petits plats que j’ai tout le temps de lui mijoter, il s’est également mis en tête de créer un site Internet. Cela nous permettra de partager avec notre famille et nos amis cette aventure inoubliable.
Après des mois d’une préparation minutieuse, le road-book est prêt.
Kilométrage, sites touristiques, ravitaillement en carburant, hébergements, vérification des liaisons terrestres et maritimes, prévisions des transferts en ferries, documents nécessaires aux passages en douanes, vaccinations pour toutes les maladies tropicales, estimation du cout total, site internet en ligne, billets d’avion des enfants réservés, le résultat est digne d’une agence de voyage. La conclusion de tous ces préparatifs est qu’il ne peut y avoir qu’une seule date de départ, le 1er Mai 2011.

Alors maintenant, comment on s’organise ?
Tout s’enchaine très vite.
Nos deux maisons trouvent de gentils locataires pour les chouchouter pendant cette année d’absence. Ça nous permettra surtout de couvrir les frais fixes, impôts, abonnements eaux, gaz, électricité etc.…Je condamne le bureau pour enfermer toutes mes affaires personnelles en laissant les meubles, Laurent fait de même chez lui.
Le groupe hôtelier ACCOR, pour lequel il travaille depuis quinze ans lui accorde une année sabbatique et un généreux sponsoring pour le voyage. Moi je quitte ma société…sans me retourner.
Nos enfants respectifs accueillent sans problème l’idée de notre départ, d’autant plus facilement que nous leurs faisons miroiter trois semaines de vacances d’été en Floride. Leurs parents respectifs font bonne figure, ont-ils le choix ?
Le plus compliqué c’est de l’annoncer à nos parents…surtout la maman de Laurent qui est assez émotive.
Nous organisons une petite réunion de famille, je cuisine des plats typiques d’Amérique du Sud, nous trinquons d’un cocktail mexicain, et au moment de leur annoncer la « bonne nouvelle », sa maman, qui pense avoir trouvé la raison de toute cette mise scène, nous demande avec un grand sourire si nous avons l’intention de nous marier !  Elle reçoit la réponse comme un coup de poing qui lui coupe le souffle et la rend muette. Elle accuse le coup en silence, et fini par esquisser un pâle sourire qui en dit long sur sa détresse. Mais elle connaît son fils, et sait qu’elle peut lui faire confiance.

Reste une chose importante à décider, qu’est ce qu’on emmène ?
Voyager en moto implique de faire des choix en terme d’équipement, et faire des choix c’est renoncer…..au superflu !
Après bien des hésitations et des moments déchirants, où je comprends que, NON, je n’emmènerais pas ma super salopette Désigual, ni mon joli blouson en cuir «chiffonné chic», ni même mes cuissardes préférées, même pas en rêve, cette robe ravissante qui souligne la taille... D’un geste décidé, je range tout ça dans des cartons, en archivage temporaire d’un an.
Bénéfice net, je vais gagner un temps fou le matin. Je ne me poserai plus la traditionnelle question, «qu’est ce que je me mets ? » pour ensuite faire le constat d’une confondante mauvaise foi : «je n’ai rien à me mettre !»
Je me tourne vers Laurent, avec un petit sourire narquois…
_ « Et toi, tu mets quoi dans ton sac ? ». 
L’homme de ma vie me regarde d’un air étonné :
_« Moi ? Comme d’hab’, Jeans, polaire, slips, chaussettes, tee-shirt ».
_ « OK, mais tu mets un «S» à tee-shirt, quand même ? ».
De nos expériences passées de vacances en moto nous retenons, que les maitres mots pour voyager agréablement, sont, polyvalence, légèreté, faible encombrement et solidité.
Chaque chose est évaluée et tout y passe, l’équipement moto, la bagagerie, le kit camping, les vêtements du quotidien et la trousse à pharmacie.
Finalement, à part quelques détails, pour un an nous emmenons presque la même chose que pour quinze jours !
Une question me taraude pourtant depuis que nous avons décidé de partir de longs mois, sur la route en moto, à l'étranger. Comment rester féminine ? En clair, comment faire pour que la magnifique  créature pimpante, sapée, peelée, épilée, brushée, ne se transforme pas, au fil des kilomètres poussiéreux, battus par les vents, la pluie, la chaleur, en troll fripé, hirsute et velu...Il va falloir que j’y réfléchisse.

Le compte à rebours commence. Nous avons trouvé deux billets d’avion pour Montréal à un prix défiant toute concurrence. Soixante euros par personne plus les frais !
Patrick et Christine les propriétaires de la concession BMW de St Cyr, chez qui nous avons acheté la moto, nous ont proposé une place sur leur stand au salon de la Moto à Tours, fin mars. Ils ont déjà beaucoup fait pour nous. Changement de tous les consommables, remise à neuf de la moto, installation d’une alarme et don de deux sacs souples étanches à fixer sur les valises alu.

Notre moto est exposée chargée, fin prête à avaler les milliers de kilomètres, au milieu des modèles beaucoup plus sportifs de la marque.
Pendant deux jours, nous rencontrons des gens intrigués, intéressés et même passionnés par le voyage. J’ai fait imprimer des tee-shirts avec le logo du site, ainsi que des stickers et Laurent à conçu une plaquette qui résume notre périple que les gens lisent avec curiosité. La date approche à grands pas, on en parle, tout le monde en parle, il y a même eu un article dans le journal quotidien, « la Nouvelle République » et dans un journal moto, « Road Trip Magazine » mais j’ai un peu de mal à réaliser que c’est vrai, qu’on va vraiment partir. J’imagine qu’une fois dans l’avion, tout deviendra bien réel.

Fin avril 2011, plus de maison, plus de cellulaire, plus de voiture, la moto est en caisse. Il nous reste juste l'essentiel ! Le petit ordinateur acheté pour l’occasion, l’appareil photo, la brosse à dents, les clés de la GS et le galarneau (soleil) dans le cœur !
Ça nous empêche un peu de dormir quand même...